Marguerite Burnat-Provins (1872 - 1952, peintre, écrivaine, illustratrice, décoratrice)
Dessin préparatoire pour l'illustration du Livre pour toi
(Dessin préparatoire pour l'illustration du chapitre "Offrande")


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Céline Eidenbenz, 2020 :

Marguerite Burnat-Provins (1872-1952), Feuilles décoratives, projet d’illustration pour le Livre pour toi, s.d. [ca. 1911-1914], techniques diverses (crayon graphite, gouache et aquarelle sur papier gouache, encre et crayon graphite sur papier), 26 x 20,5 cm (chacune), Musée d'art du Valais, Sion, inv. BA 1416 1 à 1416 57, achat en 1989 et en 2018 Cette feuille fait partie d’un projet d’illustration du Livre pour toi, recueil de poèmes d’amour écrit par Marguerite Burnat-Provins (1872-1952) suite à sa rencontre avec l’ingénieur valaisan Paul de Kalbermatten (1). Alors que l’ouvrage a été publié à Paris en 1907 – et que le parfum de scandale (2) qui l’accompagne en a suscité de nombreuses rééditions – la version illustrée ne verra jamais le jour, ce projet étant toujours demeuré au stade préparatoire. C’est durant un séjour en Egypte en 1911 que Burnat-Provins entame ce projet décoratif, à la demande d’un bibliophile parisien (3). Trois ans plus tard, trente aquarelles sont achevées. Comme pour le joyau éditorial des Petits tableaux valaisans (1903) signé par la même artiste, l’objectif est celui de la xylographie (4). L’ambition est au rendez-vous, puisqu’une collaboration avec les éditions Larousse est évoquée (5). Malgré cet élan, Burnat-Provins doit réduire de moitié l’ampleur du travail, car plusieurs problèmes entravent son accomplissement (6) : manque de financement, changements d’éditeurs, voyages, déménagements, santé fragile – et dès 1914 la Grande Guerre qui donne l’impulsion pour sa série hallucinatoire Ma Ville, où l’artiste développe un répertoire très différent. À ce jour, le Musée d’art du Valais est la seule collection publique à posséder un ensemble aussi important des illustrations du Livre pour toi (7). Ces dernières ont toutes des dimensions constantes (20 x 18 cm) et elles sont organisées autour d’une fenêtre inscrite de format presque carré, prévue pour accueillir le texte. Ce dispositif évoque fortement les poèmes ornés par des xylographies japonisantes dans la Sécession viennoise, signés notamment par Gustav Klimt et Koloman Moser pour la revue Ver Sacrum peu avant 1900 (8). Le décor végétal et le bestiaire amoureux qui composent ces dessins relèvent d’ailleurs d’un langage Art Nouveau par excellence. Ici, des fleurs et des fruits sont rassemblés par des stratégies décoratives (vues rapprochées, accessoires en rubans) pour faire l’éloge de l’abondance de la nature : violettes, capucines, soucis, tulipes, œillets, perce-neige mais aussi blés, oranges, tomates et grenades. Là, des papillons volent autour d’un chandelier, des sauterelles grimpent dans les hautes herbes, des libellules survolent un champ de menthe, souvent dans des esquisses qui indiquent les gammes chromatiques prévues pour chaque planche (« Galvano vert » ou « carré carmin grenat, blanc, crème, corail, rose, vermillon »). De nombreux oiseaux peuplent ce bestiaire constitué de paons, d’éperviers, d’oies, de colombes, d’oiseaux de proie, dont une « vigie » qui surveille le paysage sous la forme d’un hibou avec l’inscription « peur, fièvre ». Plus loin, des poissons choisis (baudroie, rascasse) créent des effets de symétrie tandis qu’une chatte noire surgit derrière un champ de lys rouges en posant son regard de sphinge sur le lecteur. Quelques paysages complètent cet ensemble, pour la plupart liés au Valais où se passe la scène : on lit l’inscription « Château de la Soie » (LIV) sur une planche qui représente (en créant une proximité fictive) la Chapelle de Tous-les-Saints, bien connue à Sion depuis sa construction en 1325 sur la colline de Valère ; quant à la ruine du château de Tourbillon, elle se profile à l’arrière-plan d’une balustrade aux groseilles (LXIX). Ailleurs, une église, un paysage lunaire, un arbre, une fontaine ou des flammes maintiennent le décor de cette région que Marguerite Burnat-Provins aura chéri toute sa vie, même après son départ de la Suisse. Quelques planches sont aussi inspirées de ses nombreux voyages au fil du Rhône, de Sion jusqu’en Arles et même en Egypte. Contrairement aux poèmes qui font explicitement l’éloge du désir et de l’enivrement amoureux, le contenu des illustrations n’est pas sensuel à proprement parler. Le vertige des sens y est suggéré par des moyens détournés, s’exprimant à travers des scènes qui n’ont rien d’érotique. Cette contradiction entre le texte et l’image est frappante : alors que le texte énonce en « je » la sensualité des corps amoureux, l’image demeure muette dans son désir. Tandis que l’amant du Livre pour toi est invoqué avec emphase dans le texte sous le prénom de Sylvius, il est totalement absent de ces enluminures 1900. Ce projet décoratif plante surtout le décor d’un verger, celui d’un locus amoenus, ou d’un Paradis d’amour comme on en trouve dans l’imaginaire médiéval courtois (9). Il vise avant tout la célébration de la nature prodigue – et par extension les ressources du désir et de l’amour : de la même façon que la nature promet un perpétuel recommencement à travers les saisons, l’amour est prié de se renouveler avant de mourir. 1) Cette notice est un extrait de l’article suivant : Céline Eidenbenz, « « Le dur désir de durer ». Les illustrations du Livre pour toi de Marguerite Burnat-Provins », Pour elle, cat. exp. Manoir de Martigny, dir. Federica Martini et Anne Jean-Richard Largey, Lausanne, art&fiction, 2018, pp. 94-120. 2) Voir les critiques dans Mercure de France, 16 avril 1908, pp. 686-688 ; Robert de Montesquiou, « Silvius et Silvia », Gil Blas, 2 décembre 1908, p. 1. Voir aussi les nombreux écrits de Catherine Dubuis, notamment Les Forges du paradis. Histoire d’une vie : Marguerite Burnat-Provins, Vevey, Editions de l’Aire, 1999. 3) Lettre du 14 mai 1911 à Marie Bovet, Lausanne, Centre de Recherches sur les Lettres Romandes (CRLR, fonds Burnat-Provins). Voir aussi Pascal Ruedin, « Sur un projet d’édition du Livre pour toi », Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins, 1989, cahier 2, pp. 25-27. 4) Burnat-Provins évoque une « première épreuve gravée de la planche du paon du Livre pour toi » (qui correspond probablement à l’œuvre BA 1416 57 que conserve le Musée d’art du Valais). Voir lettre du 17 août 1912 à Madeleine Gay-Mercanton, Lausanne, CRLR. 5) Lettre à Louis Dumont du 14 mai 1914, Lausanne, CRLR. 6) Lettre du 7 février 1914, Lausanne, CRLR. 7) La bibliothèque de la Ville de Grasse possède également une petite dizaine de pages liées aux illustrations du Livre pour toi dans deux carnets de croquis toilés (« 14 octobre 1895 à 1911 » et « 9 février 1913 à 1915 »). On y on découvre dans les projets de vignettes et d’initiales des corps nus (un jeune Eros debout, un corps féminin vu de face), des visages (dont une incitation au silence dans un signum harpocraticum), une main de squelette qui tend une fleur de lotus ainsi qu’un tête-à-tête entre la Mort et une jeune fille aux cheveux ondulants. 8) Giovanni Fanelli, Wiener Jugenstil. Die Druckgraphik (1989), Francfort, Propyläen Verlag, 1992. Voir par exemple Koloman Moser, Der Kuss, illustration pour un poème de Paul Althof, Ver Sacrum, volume 2, cahier 5, 1899, p. 27. 9) Le jardin y est « l’endroit par excellence de la rencontre et du “delit” d’amour ». Voir Armand Strubel, « L’allégorisation du verger courtois », Vergers et jardins dans l’univers médiéval, Presses universitaires de Provence, 1990, pp. 343-357, https://books.openedition.org/pup/2992?lang=en (consulté le 18.8.18). --- Marguerite Burnat-Provins (1872–1952), Feuilles décoratives, Illustrationsprojekt für das Livre pour toi, o. D. [um 1911–1914], Mischtechnik (Grafitstift, Gouache und Aquarell auf Papier; Gouache, Tinte und Grafitstift auf Papier), 26 x 20,5 cm (jedes Blatt), Kunstmuseum Wallis, Inv. BA 1416 1 bis 1416 54, Ankauf 1989 und 2018. Dieses Blatt ist Teil eines Illustrationsprojekts für das Livre pour toi, einer Sammlung von Liebesgedichten, die Marguerite Burnat-Provins (1872–1952) nach ihrer Begegnung mit dem Walliser Ingenieur Paul de Kalbermatten verfasste (1). Während das Buch 1907 in Paris erschien – aufgrund seines skandalträchtigen Charakters (2) gab es zahlreiche Nachdrucke –, blieb die illustrierte Fassung unveröffentlicht, da das Projekt nicht über die Vorbereitungsphase hinauskam. Während eines Aufenthalts in Ägypten im Jahr 1911 hatte Burnat-Provins die Arbeit auf Wunsch eines Pariser Bibliophilen begonnen (3). Drei Jahre später waren 30 Aquarelle fertiggestellt. Wie bei dem editorischen Juwel der Petits tableaux valaisans (1903) derselben Künstlerin sollten die Entwürfe in Holzschnitte umgesetzt werden (4). Die Ambition ist jedenfalls vorhanden, da von einer Zusammenarbeit mit dem Verlag Larousse die Rede ist (5). Trotz dieses Elans muss Burnat-Provins den Umfang des Werkes halbieren, und mehrere Probleme verhindern seinen Abschluss (6): mangelnde Finanzierung, Verlagswechsel, Reisen, Umzüge, schlechte Gesundheit – und ab 1914 der Erste Weltkrieg. Er gibt den Anstoss zur halluzinatorischen Serie Ma Ville, in der die Künstlerin ein völlig anderes Repertoire entwickelt. Augenblicklich ist das Kunstmuseum Wallis die einzige öffentliche Sammlung, die eine derart umfangreiche Gruppe von Illustrationen für das Livre pour toi besitzt (7). Die Zeichnungen haben alle dieselbe Grösse (20 x 18 cm) und sind um ein fast quadratisches Fenster platziert, das den Text aufnehmen sollte. Diese Anordnung erinnert stark an die mit japonisierenden Holzschnitten verzierten Gedichte der Wiener Secession, die kurz vor 1900 teilweise von Gustav Klimt und Koloman Moser für die Zeitschrift Ver Sacrum geschaffen wurden (8). Der Pflanzendekor und die verliebte Tierwelt dieser Zeichnungen sind in herrlichem Jugendstil gehalten. Blumen und Früchte sind dank dekorativer Strategien (Nahansichten, Accessoires in Bändern) vereint, um die Fülle der Natur zu preisen: Veilchen, Kapuzinerkresse, Ringelblumen, Tulpen, Nelken, Schneeglöckchen, aber auch Weizen, Orangen, Tomaten und Granatäpfel. Schmetterlinge flattern um einen Kerzenständer, Heuschrecken klettern im hohen Gras, und Libellen fliegen über ein Pfefferminzfeld. Oft geben die Skizzen die für jede Tafel vorgesehene Farbpalette an («Galvanogrün» oder «Quadrat karminrot, weiss, creme, korallenrot, rosa, zinnoberrot»). Zahlreiche Vögel bevölkern diese Tierwelt, die Pfauen, Falken, Gänse, Tauben und Raubvögel umfasst, darunter eine «Wache» in Form einer Eule zur Beobachtung der Landschaft mit der Aufschrift «Angst, Fieber». Anderswo erzeugen besondere Fische (Seeteufel, Drachenkopf) Symmetrieeffekte, während eine schwarze Katze hinter einem Feld aus roten Lilien auftaucht und ihren sphinxartigen Blick auf den Betrachter richtet. Dieses Ensemble wird durch ein paar Landschaften vervollständigt, die mehrheitlich einen Bezug zum Wallis haben, wo sich die Szene abspielt: «Château de la Soie» («Seidenschloss») liest man auf einer Tafel (LIV), die (in einer fiktiven Nähe) die Allerheiligenkapelle in Sitten darstellt, ein Bauwerk, das seit seiner Errichtung im Jahr 1325 auf dem Valeria-Hügel allbekannt ist; was die Burgruine von Tourbillon betrifft, so erhebt sie sich hinter einer Stachelbeerbrüstung (LXIX). Andernorts bilden eine Kirche, eine Mondlandschaft, ein Baum, ein Brunnen oder ein Feuer den Dekor dieser Region, die Marguerite Burnat-Provins zeitlebens, selbst nach ihrer Abreise aus der Schweiz, geschätzt hat. Einige Tafeln sind von ihren zahlreichen Reisen entlang der Rhone von Sitten bis nach Arles oder sogar nach Ägypten inspiriert. Im Gegensatz zu den Gedichten, die ausdrücklich Begehren und Liebeslust preisen, ist der Inhalt der Illustrationen nicht ausgesprochen sinnlich. Der Sinnesrausch wird indirekt in Szenen angedeutet, die nichts Erotisches an sich haben. Dieser Widerspruch zwischen Text und Bild ist frappierend: Während der Text in Ichform die Sinnlichkeit verliebter Körper ausdrückt, bleibt das Bild stumm in seinem Verlangen. Während der Geliebte des Livre pour toi im Text mit dem Vornamen Sylvius emphatisch angerufen wird, fehlt er völlig in den Jugendstilbildern. Dieses Projekt inszeniert hauptsächlich den Dekor eines Gartens, eines locus amoenus oder Liebesparadieses, wie es in der mittelalterlichen höfischen Bildwelt vorkommt (9). Es will vor allem die Fülle der Natur und in einem erweiterten Sinn auch die Mittel des Begehrens und der Liebe feiern: So wie die Natur mit den Jahreszeiten einen immerwährenden Neubeginn verspricht, soll sich die Liebe erneuern, bevor sie erlischt. 1) Diese Ausführungen sind ein Auszug aus folgendem Aufsatz: Céline Eidenbenz, «‘Le dur désir de durer’. Les illustrations du Livre pour toi de Marguerite Burnat-Provins», in Pour elle, Ausst.-Kat., Manoir de Martigny, hg. von Federica Martini und Anne Jean-Richard Largey, Lausanne: art&fiction 2018, S. 94–120. 2) Vgl. die Kritiken in Mercure de France, 16. April 1908, S. 686–688; Robert de Montesquiou, «Silvius et Silvia», in Gil Blas, 2. Dezember 1908, S. 1. Vgl. auch mehrere Schriften von Catherine Dubuis, insbesondere Les Forges du paradis. Histoire d’une vie: Marguerite Burnat-Provins, Vevey: Editions de l’Aire 1999. 3) Brief vom 14. Mai 1911 an Marie Bovet, Lausanne, Centre de Recherches sur les Lettres Romandes (CRLR, Fonds Burnat-Provins). Vgl. auch Pascal Ruedin, «Sur un projet d’édition du Livre pour toi», in Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins, 1989, Heft 2, S. 25–27. 4) Burnat-Provins berichtet von einem «ersten Probeabzug der Tafel des Pfaus für das Livre pour toi» (vermutlich das Werk BA 1416 57 im Kunstmuseum Wallis). Vgl. den Brief vom 17. August 1912 an Madeleine Gay-Mercanton, Lausanne, CRLR. 5) Brief an Louis Dumont vom 14. Mai 1914, Lausanne, CRLR. 6) Brief vom 7. Februar 1914, Lausanne, CRLR. 7) Auch die Bibliothek der Stadt Grasse besitzt etwa zehn Entwürfe in zwei Skizzenbüchern («14. Oktober 1895 bis 1911» und «9. Februar 1913 bis 1915»), die in Zusammenhang mit den Illustrationen des Livre pour toi stehen. In den Skizzen für Vignetten und Initialen entdeckt man nackte Körper (ein stehender junger Eros, ein weiblicher Akt von vorne), Gesichter (darunter eine Aufforderung zum Schweigen in einem Signum harpocraticum), die Hand eines Skeletts, die eine Lotusblume hält, und ein Tête-à-tête zwischen dem Tod und einem Mädchen mit welligem Haar. 8) Giovanni Fanelli, Wiener Jugendstil. Die Druckgraphik (1989), Frankfurt am Main: Propyläen 1992. Vgl. zum Beispiel Koloman Moser, Der Kuss, Illustration für ein Gedicht von Paul Althof, in Ver Sacrum, Bd. 2, H. 5, 1899, S. 27. 9) Der Garten ist «der ideale Ort der Begegnung und des ‘Liebesvergehens’». Vgl. Armand Strubel, «L’allégorisation du verger courtois», in Vergers et jardins dans l’univers médiéval, Aix – Marseille, Presses universitaires de Provence 1990, S. 343–357, https://books.openedition.org/pup/2992?lang=en (abgerufen am 18.08.2018).