Laurent Golay, 2000 :
La Vierge est assise frontalement, les jambes écartées et les pieds tournés vers l’extérieur. La mains gauche, doigts vers le bas, est plaquée contre l’Enfant. Elle est coiffée d’une couronne exempte de tout décor sculpté et ne porte pas de voile. Ses cheveux torsadés descendent sur la nuque. Le visage – sur lequel il n’y a presque plus de polychromie – est allongé, les yeux grands, le cou long et mince. Vêtue d’une robe qui tombe en tournant autour des chevilles, au-dessus des pieds chaussés, la Vierge porte un manteau qui passe sous son avant-bras droit en un pli massif, ainsi que sur la cuisse, pour retomber sur l’autre jambe, en plis réguliers. Il subsiste des restes de polychromie rouge sur le manteau : sur la manche gauche, du rouge foncé passe sur un rouge orange de type minium. Sur le pan en dessous de la manche on retrouve le même rouge orange, sur une préparation blanche. L’Enfant est assis sur le genou gauche de la Vierge, en position frontale, légèrement incliné sur la gauche. Vêtu d’une tunique, il est également couronné. Les deux mains manquent. Le bras gauche, posé sur sa cuisse, tenait vraisemblablement un attribut. Le bras doit est levé devant la Vierge, dans un geste de bénédiction. Les jambes sont légèrement écartées, les pieds, nus, sont parallèles et plats. Dans la partie supérieure du vêtement, les plis sont droits et saillants et vont s’élargissant en descendant. Dans la partie inférieure, ils tombent régulièrement, sans qu’un mouvement des membres ne crée de tension. La pièce est évidée. Deux trous, à hauteur des épaules, devaient servir à l’accrochage, à une époque postérieure à celle de la création. Pierre Bouffard a inclus cette pièce dans un groupe qui comprend les deux Vierge de Rarogne du Musée national (début du XIIIe siècle et vers 1200), et la Vierge d’Evolène du Musée d’histoire de Berne (première moitié du XIIIe siècle), et la fait remonter à la fin du deuxième quart du XIIIe siècle (soit au milieu du XIIIe siècle…), « entre les Vierge d’Evolène et de Vex [soit Saxon] ». Les éléments induisant à cette datation sont, selon Bouffard, « la liberté naissante du style, la présence de la couronne sur les deux têtes, les cheveux roulés ou nattés [nattés pour la Vierge et roulés pour l’Enfant], l’attitude plus « humaine », enfin, de la Vierge… ». Le geste de l’Enfant et la position de la main gauche de la Vierge, détails que l’on retrouve dans la Vierge de Vex du Musée cantonal d’histoire, ont été mis en évidence par Brigitta Schmedding, qui date la pièce de la seconde moitié du XIIIe siècle, alors que dans le catalogue de Martigny elle est datée de la fin du XIIIe siècle. La comparaison avec la Vierge de Saxon, contemporaine, selon Schmedding, de celle de Massongex, est intéressante : même si la première est d’une exécution plus grossière – impression partiellement due à la très mauvaise qualité du repeint – le geste de l’Enfant est, dans les deux cas, relativement proche. Mais le groupe de Massongex est plus rigide, plus hiératique, cela aussi bien dans le système des plis que dans les attitudes. Les premiers sont très stylisés, ceux de la tunique de l’Enfant et des cheveux de la Mère en particulier. Le Christ du groupe de Massongex semble en outre « posé » sur les genoux de la Vierge, alors que dans le groupe de Saxon la relation entre les deux figures tend à un réalisme plus prononcé, grâce à l’attitude plus humaine de l’Enfant. On retrouve cette rigidité dans le groupe des sculptures réunissant la Vierge à l’Enfant de Vex, d’Attalens et de Nierlet. Les conclusions de Bouffard nous semblent ici pertinentes, puisque la Vierge de Massongex – qui offre à voir un ensemble plus majestueux, comme une sorte de témoignage d’un épisodique revival roman – est en effet certainement postérieure de quelques années à la Vierge d’Evolène. Par la suite, elle rejoint ce groupe de sculptures qui présentent des caractéristiques formelles très homogènes : Vex, Attalens, Nierlet, Les Giettes, Aymavilles, Abondance et, quelques peu plus tard, Saxon. Il s’agit vraisemblablement de l’œuvre d’un artiste ayant assimilé les éléments formels présents dans ces pièces, mais qui s’exprime de manière originale. Le visage de la Vierge est plus typé, plus personnalisé, et la datation de l’œuvre reste difficile, à cause justement de ce mélange de formes. Et à cause du fait qu’aussi bien la Vierge de Saxon que celle de Massongex présentent des archaïsmes qui s’expriment à chaque fois différemment. Le groupe de sculptures que nous avons mentionné avait déjà retenu l’attention, avant Brigitta Schmedding, de Richard Hamann et de Heribert Reiners. L’analyse de Hamann était construite sur l’identification d’un prototype supposé de cette série d’œuvres qu’il désigne du nom de « groupe du Jura » un prototype qu’il croit reconnaître dans la Vierge à l’Enfant de Poligny. Reiners estimait quant à lui devoir attribuer ce rôle à la Vierge à l’Enfant d’Abondance, dont l’abbatiale fut fondée au XIe siècle par celle de Saint-Maurice. Brigitta Schmedding réfuta ces deux hypothèses, pour des raisons stylistiques dans le cas de la statue de Poligny et chronologique pour celle d’Abondance, objectant avec une certaine pertinence que les sculptures de Montreux et de Naters sont des pièces appartement au même groupe « romand », bien que plus anciennes. Elle ne peuvent donc avoir été réalisées selon le modèle de la Vierge d’Abondance, contemporaine des Madones de Vex ou d’Attalens. Mais cet argument repose sur une base fragile, car nous ne voyons pas en quoi les Madones de Naters et de Montreux pourraient être issues du même prototype de quelles de Vex, d’Attalens, de Massongex ou de Nierlet. Le problème étant en outre de savoir si la Vierge d’Abondance, largement repeinte, pourrait être antérieure aux sculptures du groupe « romand ». Dans les hauts lieux de pèlerinage marial, l’ymago de la Vierge occupait une place centrale en tant qu’objet (reliquaire ou pas) de la vénération des pèlerins, et il est acceptable d’envisager, selon l’hypothèse de Hamann, que l’une d’entre elles ait pu constituer un prototype dont les sculptures de notre groupe furent les « copies ». A Lausanne, la cathédrale Notre-Dame était dédiée à la Vierge et abritait une sculpture – ainsi que des reliques – représentée sur un dessin à l’encre du XIVe siècle. Autre lieu de culte marial au Moyen Age, la chapelle Notre-Dame du Scex, près de Saint-Maurice, dans laquelle est conservée une statue de la Vierge à l’Enfant du même type que celles du groupe examiné, bien que postérieure de quelques décennies. Enfin, toujours en Valais – d’où proviennent la plupart des sculptures en question -, la cathédrale de Sion est depuis sa fondation consacrée à la Vierge, et l’église de Valère le fut semble-t-il également, avant d’être placée sous le vocable de sainte Catherine. Il est à ce propos intéressant de relever qu’aussi bien Vex que Massongex ou Naters, appartenaient au XIIIe siècle à l’Eveché de Sion, tandis qu’Attalens et Abondance dépendaient de l’abbaye de Saint-Maurice. Il ne subsiste malheureusement aucune sculpture dont on puisse affirmer avec certitude qu’elle provient d’un important lieu de culte marial et qu’elle ait pu constituer, grâce à sa renommée, un « modèle » pour nombre de sculpteurs. Des renseignements historiques font état de l’existence à Massongex, dès 1250 au moins, d’une église, dont la dédicace à la Vierge Marie apparaît pour la première fois en 1316. En 1949, le curé de Massongex tente de vendre la sculpture, et présente une demande dans ce sens à l’Evêché : « Je me permets de vous adresser deux photographies de ces statues : pour les deux plus anciennes : peut-être du XIe siècle, on m’offre 8000.- […] Je désire les vendre pour payer mes dettes et pour me procurer des ciboires, etc. ». La vente ne fut que partiellement réalisée, puisqu’en 1955 une nouvelle demande d’autorisation était adressée à l’Evêché, demande qui précisait que le montant de la vente d’ « une vieille statue en bois de saint Jean-Baptiste » serait affecté à une œuvre caritative. Il ressort en outre de cette lettre que le conservateur des Musées du Valais ainsi que l’archiviste cantonal n’avaient pu, faute de moyens, acquérir la sculpture pour le compte de l’Etat. Un mois plus tard, l’Evêché donne son accord, à la condition que la ou les sculpture(s) ne soient vendues qu’à une « église du Valais », une « institution religieuse » ou au « canton du Valais ». "Vierge à l'Enfant", in : Golay Laurent, Les sculptures médiévales. La collection du musée cantonal d’histoire, Valère, Art & Histoire 2. Lausanne : Ed. Payot, 2000, pp. 100-105.