Laurent Langer, 2021 :
Raphael Ritz (1829-1894), Apparition au mineur, 1887, huile sur toile, 45.5 x 35.8 cm, Musée d’art du Valais, Sion, inv. BA 3474 Dans une grotte couverte de cristaux, un homme équipé d’un piolet est en prière à genoux devant une figure de la Vierge à l’enfant. La lumière qui émane de l’image sacrée se répercute à travers les concrétions transparentes qui créent comme un halo divin. Ce tableau de Raphael Ritz représente une légende du Haut-Valais selon laquelle un mineur aurait vu cette apparition dans ses rêves. La cavité en question aurait été découverte lors de la construction de la chapelle Maria Hilf dans les années 1690-1692 près d’Ernen, dans la vallée de Conches (VS) (1). Il n’est pas étonnant que Ritz représente une légende du Haut-Valais, la région où il est né et où il passe une partie de son enfance. Il connaît particulièrement bien la vallée de Conches, qu’il parcourt régulièrement à pied avec son père et dont il publie même un répertoire des cristaux (2). En 1887, date de ce tableau, la thématique du mineur est novatrice. A cette époque, la peinture suisse se concentre en effet principalement sur la paysannerie, qui est alors en train de disparaître et qui cristallise aux yeux du public urbain une survivance de mœurs et de croyances anciennes et considérées comme plus pures. La majorité de la production de Ritz, peuplée de campagnards valaisans, s’inscrit dans cette veine. Mais ce tableau, qui prend pour sujet un ouvrier, s’en écarte et semble annoncer la vogue de la thématique des mineurs qui deviendra populaire autour de 1900, notamment chez Théophile Alexandre Steinlen (3). Mais tandis que le Vaudois dénonce les mauvaises conditions de travail des ouvriers en les représentant épuisés et sales, Ritz se concentre sur une apparition miraculeuse de l’image de la Vierge. La dimension religieuse n’est pas inconnue à Ritz. Le peintre a en effet commencé sa carrière comme peintre d’église, en suivant l’exemple de son père Laurent Justin Ritz et de son oncle maternel Heinrich Kaiser, dans le goût de Paul Melchior von Deschwanden. Alors qu’il se trouve en formation à Düsseldorf, il renonce à cette thématique en faveur de la peinture de genre, à laquelle il insuffle un vent nouveau avec des scènes de dévotion populaires en plein air, telles que des célébrations religieuses et des messes, au cœur de la nature. Dans l’Apparition au mineur, Ritz renoue avec cette thématique de ses jeunes années tout en la combinant à la dimension populaire qu’il a contribué à développer. Pour cette œuvre de la fin de sa carrière, Ritz recourt à une touche plus large et moins précise qu’à ses débuts, lorsqu’il peignait des compositions aux nombreux personnages et détails dont il aimait à rendre les matériaux avec minutie. Ce qui peut paraître comme un manque de savoir-faire ou la main moins assurée d’un artiste vieillissant, semble ici servir le propos de l’artiste : cette touche possède un pouvoir évocateur bien plus présent, et permet de représenter presque physiquement l’irradiation de la scène par la lumière divine, qui se répercute en flocons lumineux sur les cristaux de la grotte. 1) Walter Ruppen, Die Kunstdenkmäler des Kantons Wallis, Band II. Das Untergoms. Die ehemalige Grosspfarrei Ernen, Berne : Société d’histoire de l’art en Suisse (Les monuments d’art et d’histoire de la Suisse 67); Bâle : Birkhäuser Verlag, 1979, p. 90-91. 2) Raphael Ritz, « Verzeichnis der Minerale des Thales und Bezirkes Goms, mit Angabe der Fundorte », Murithienne, vol. 5, 1875-1876, p. 38-62; « Verzeichnis der Minerale des Thales und Bezirkes Goms », Jahrbuch SAC [Schweizer Alpen-Club], vol 6., 1887-1888, p. 356-375. 3) Voir Émile Morel, Les Gueules noires, illustrations de Théophile Alexandre Steinlen, Paris : E. Sansot, 1907, qui relate la catastrophe minière de Courrières ayant fait plus de 1000 morts en 1906.