Isaline Pfefferlé, 2022 :
Valentin Carron (*1977), Ciao n° 8, 2013, Ciao Piaggio restauré, 104 x 159,5 x 51 cm. Musée d’art du Valais, Sion. Achat en 2018. Inv. BA 3477 Né en 1977, Valentin Carron est un artiste suisse qui vit et travaille à Fully, son village d’origine. Son œuvre est reconnu à l’échelle internationale et l’artiste a notamment représenté la Suisse lors de la 55e Biennale de Venise en 2013. Les salles du pavillon national accueillaient différentes séries d’œuvres, tandis qu’une pièce autonome, un vélomoteur bleu, occupait l’espace extérieur. Au même titre que Ciao n° 8, ce dernier provient d’un ensemble de véritables vélomoteurs « Ciao », produits par la marque italienne Piaggio entre 1967 et 2006, que Valentin Carron a lui-même restaurés entre 2012 et 2014. Intéressé par la valeur culturelle et identitaire qui peut être associée à des œuvres ou des objets (1) , l’artiste recourt régulièrement à la copie ou à l’emprunt direct, s’inscrivant dans un courant de l’art contemporain dit de l’appropriationnisme, né aux États-Unis durant les années 1970. À l’instar de la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp (1887-1968), ce Ciao n°8, couleur menthe à l’eau, est un ready-made : c’est un objet manufacturé déplacé dans le champ de l’art. Sa valeur intrinsèque et utilitaire – ici, le mouvement et le déplacement – est détournée en étant exposé puisqu’il ne fonctionne plus, si ce n’est comme un symbole. La présence de cet objet motorisé peut paraître incongrue dans un contexte muséal. Cependant, sa réception en tant qu’œuvre repose sur la stimulation de l’imaginaire des spectatrices et spectateurs, qui tournent autour de l’engin et l’appréhendent. Sachant que ce vélomoteur est en état de marche, pourraient-elles/ils être tenté·e·s de l’enfourcher et de quitter les lieux, dans un vrombissement ? Sont-elles/ils ramené·e·s à des souvenirs de jeunesse, ou encore de films ? Non sans ironie, la pièce fait d’ailleurs référence aux futuristes italiens (2). Mais, contrairement à ce que le fondateur du mouvement, poète Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) prônait en 1909, « […] nous estimons que ce monde merveilleux s'est encore enrichi d'une nouvelle beauté, celle de la vitesse […] » (3), ce Piaggio pastel, que Valentin Carron revisite au XXIe siècle, est plutôt l’antithèse de la vitesse: « C’est peut-être le moteur le plus lent et le plus mou […]. Je pense qu’en dessous de ça, il y a une tondeuse à gazon (4) ». Ainsi, Ciao n°8 relie l’universel au particulier : d’une part, l’œuvre évoque un moyen de locomotion typique des régions rurales européennes, comme le Valais, durant la seconde moitié du XXe siècle ; d’autre part, elle renvoie à une période idéalisée, propre à la jeunesse de l’artiste et de nombreuses et nombreux autres, ainsi qu’à la liberté de mouvement (5). Cependant, même s’il est issu d’un temps révolu, cet objet vernaculaire, vecteur de culture, trouve finalement sa place dans un musée, lieu de mémoire. (1) Carron Valentin, Stroun Fabrice, « Valentin Carron et Fabrice Stroun », in : Stroun Fabrice, Tedder Géraldine (dir.), Valentin Carron Do ré mi fa sol la si do, cat. exp., Berne, Kunsthalle, 2014, p. 22. (2) Galerie Eva Presenhuber, « Valentin Carron, Ciao Muddy Plain », texte de présentation, 2014, disponible en ligne : https://www.presenhuber.com/exhibitions/valentin-carron5#tab:slideshow (dernière consultation le 16 novembre 2022). (3) « […] we believe that this wonderful world has been further enriched by a new beauty, the beauty of speed […] » [trad. de l’autrice] Marinetti, Filippo Tommaso, « The Foundation of Manifesto of Futurism (1909) » in : Danchev Alex, 100 Artists’ Manifestos, Londres, Penguin Classic, 2011, p.5. (4) « En coulisses avec Valentin Carron à la Biennale d'art de Venise », Canal 9, 31 mai 2013, publié en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=f76YnBUdQVs (dernière consultation le 19 novembre 2022). (5) Eidenbenz Céline, « Paradis Perdu », in : Eidenbenz Céline (dir.), Regarder le paysage : la collection du Musée d’art du Valais, Sion, Musée d’art du Valais / Milan, 5 Continents Editions, 2019, p. 97.