Valentine Giesser, 12.01.2022 :
Croix latine tréflée composée d’une âme de bois recouverte de plaques de cuivre gravées, argentées et dorées sur la profondeur. Tous les médaillons, sans doute appliqués sur les deux côtés de la croix, manquent à l'exception – sur l’avers - de celui du bras gauche figurant un ange aux ailes déployées tenant un phylactère ; probablement le symbole de saint Matthieu. La surface des bandes de cuivre doré présente, sur l’avers, une décoration gravée en rinceaux d’acanthe et, sur le revers, une décoration de rinceaux floraux réalisé en pointillé (opus punctorium). Les plaques argentées ornant les côtés de la croix sont décorées d'un motif réticulé composé de losanges empli de fleurettes. Au centre de l’avers de la croix est appliquée une croix pectorale tréflée avec un Christ en laiton doré. Des traces de clous sur le revers indiquent peut-être qu’un élément y était aussi appliqué. Cette croix d’autel était entreposée dans la Basilique de Valère, avant d’être déposée en prêt à long terme dans les collections du musée d’histoire du Valais en 2020. On ignore tout du lieu pour lequel cette croix a été réalisée à l’origine. Trois photographies témoignent de la présence d’une croix d’autel – selon toute vraisemblance celle qui nous intéresse - fichée sur un chandelier et placée sur l’autel majeur de la Basilique de Valère dans la première moitié du XXe siècle. Le rapport de restauration de 2021 étaye cette hypothèse car l’extrémité inférieure de la croix est très abîmée et a été trouée afin d’y insérer une tige. Les altérations de la surface au bas de la branche inférieure permettent également d’affirmer que la croix a aussi été utilisée comme objet préhensile et portée à la main. Elle a également été transformée à une époque inconnue avec le remploi d’une croix pectorale pour remplacer, très vraisemblablement, un Christ en croix abîmé. En outre, le médaillon restant sur l’avers de la croix a subi une nouvelle dorure. Du point de vue iconographique, la représentation de l’un des quatre vivants dans le médaillon restant laisse à penser que l’avers de la croix présentait une iconographie traditionnelle avec le tétramorphe entourant le Christ crucifié. Pour le reste de l’iconographie, au vu de la perte totale de la décoration figurative sur le revers, il est impossible de proposer une quelconque hypothèse. Les décors végétaux qui ornent les deux faces sont très hétérogènes mais présentent un traitement similaire de la dorure. Le motif assez classique de l’avers en rinceaux d’acanthe peut être très étroitement rapproché de celui visible sur une croix d’autel bâloise conservée au Musée historique de Bâle et datée aux années 1440-1460. Les deux croix, ainsi qu’une deuxième croix du même musée bâlois, datée vers 1425-1430, partagent d’autres critères de similitudes : la forme, l’iconographie générale, les médaillons en relief et la décoration dans les arrondis des extrémités tréflées. Le motif floral sur le revers est quant à lui réalisé en opus punctorium ; une technique d’orfèvrerie particulière, attestée partout dans les grands foyers du gothique international. Dans les pièces d’orfèvrerie connues, le motif de la croix valaisanne peut-être comparé avec ceux visibles sur une croix valdotaine, peut-être montée en France ou en Bourgogne et datée vers 1400, et un baiser de paix daté vers 1440 dont la provenance oscille entre la France et la Hollande. Le motif réticulé en losanges et fleurettes présent sur les côtés de la croix est quant à lui visible sur une autre croix provenant de Valère et remontant au XVe siècle; mais également sur de très nombreux reliquaires et croix de procession du XVe siècle et du début du XVIe siècle conservés en territoires valaisans et suisse-allemands. Les différentes comparaisons iconographiques et stylistiques proposées permettent de situer chronologiquement la croix d’autel au milieu du XVe siècle. Bien qu’il soit impossible d’identifier le lieu de production de cette pièce, l’atelier ayant réalisé cette croix avait le regard tourné vers ce qui se faisait en matière d’orfèvrerie dans la large région bâloise ou s’y trouvait. A ce propos, il faut rappeler qu’au XVe siècle la cité rhénane a joué un rôle capital en Europe comme centre politique et foyer culturel avec la tenue, entre 1431 et 1449, du 17ème concile œcuménique. L’évêque Guillaume III de Rarogne y participe en 1439, accompagné par divers religieux de Sion. C’est là que l’évêque valaisan aurait probablement rencontré l’artiste, resté anonyme et appelé « Le Maître de Guillaume de Rarogne », qu’il fait venir à Sion et à qui il commandite de nombreuses œuvres dans lesquelles l’influence rhénane est clairement lisible. À l’occasion du déplacement dans la ville européenne la plus en vogue de l’époque, la croix d’autel pourrait aussi avoir été rapportée en Valais par un membre de la délégation sédunoise ou commanditée à un atelier local avec des indications stylistiques précises.