Armelle Droval, 1997 :
Pierre-Barthélemy Pitteloud (1910-1939), Composition à la canne à pêche, 1937, huile sur toile, 190 x 154,7 cm. Musée d'art du Valais, Sion. Inventorié en 1980, mais entré au Musée plus tôt (1950?), de provenance inconnue, probablement de la famille de l'artiste. Inv. BA 980 Manifestement considéré de son vivant comme l'un des espoirs parmi les artistes proches de l'Ecole des Pâquis, Pierre-Barthélemy Pitteloud est aujourd'hui presque complètement oublié. Sa mort prématurée explique vraisemblablement sa mise à l'écart et la méconnaissance de sa carrière et de sa production. Le dictionnaire des artistes suisses du XXe siècle lui consacre à peine quelques lignes inconsistantes, tandis que le catalogue de la grande exposition «19-39. La Suisse romande entre les deux guerres» l'ignore totalement (1). Rares sont les musées à posséder de ses œuvres. Le Musée d'art du Valais fait exception avec cette grande "Composition à la canne à pêche" de 1937. La toile représente vraisemblablement la mise en scène d'un coin d'atelier. Familière au premier abord, la composition saisit bientôt le spectateur attentif par sa froideur et son impassibilité. Les meubles et les objets sont disposés entre deux plans virtuels et parfaitement parallèles: le plan du tableau et le pan de mur qui fait fond. Le format monumental de l'œuvre, la faible profondeur de l'espace, la réduction chromatique et la dureté de l'éclairage se combinent dans une composition apparemment objective, mais dont l'équilibre parfait est habilement subverti par le peintre. La composition est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraît au premier abord. La stabilité de la chaise, par exemple, est contredite par les ombres très marquées, qui en sont comme l'aura. Localisée en haut à droite, une source lumineuse déforme et déséquilibre le dossier du siège. Une autre source de lumière, placée plus bas, induit des lignes d'ombre confuses, particulièrement visibles derrière le tableau posé sur la table et dans les ombres portées des pieds des meubles. Les deux sources lumineuses fragmentent en outre les surfaces unies du sol et du mur. D'autres tensions résultent du traitement des formes et des surfaces. A la chaise aux lignes fluides et au volume insaisissable sur laquelle repose un chapeau mou s'opposent les lignes orthogonales et le volume quasiment cubique de la table. L'orientation divergente du tableau avec le meuble qui le supporte fait pendant à la chaise. La vareuse traitée comme un volume géométrique et l'image épinglée sur le mur répondent à la table. La frêle canne à pêche forme l'axe vertical du tableau. Plus qu'elle ne la divise, elle en unifie les quatre grands ensembles constitutifs qui alternent les pleins et les vides. Comme le titre l'indique, la pêche est au centre de cette composition qu'on peut lire comme un souvenir de loisir. Le "tableau dans le tableau" représente des pêcheurs le long d'une rivière ou d'un canal. Signé par Pitteloud et visiblement daté 1936, il évoque sans doute un séjour de pêche de l'artiste dans quelque lieu de vacance, vraisemblablement dans le Sud de la France si l'on en juge par l'architecture et la végétation figurés. Des bananes et un citron posés sur un chapeau mou, un rameau de laurier, évoquent un exotisme estival et méditerranéen. Le souvenir de loisir n'est pourtant pas seul en cause ici. Deux autres images dans l'image contribuent à la signification du tableau. L'une représente un paysage en hiver, l'autre une commode dans un intérieur "bourgeois". Faut-il seulement y lire la nostalgie d'un été ou encore les interrogations d'un jeune artiste de 27 ans face aux différentes voies de l'existence qui s'ouvrent à lui: carrière ou loisir, bohême ou vie bourgeoise? (2) Il est certain que le format et le traitement du tableau sont presque des réponses. Pitteloud a choisi la peinture et ses références artistiques. Il assimile les leçons de Giorgio Morandi (1890-1964) et d'André Derain (1880-1954) pour s'inscrire parmi les peintres de la Neue Sachlichkeit. (1) Künstler-Lexikon der Schweiz. XX. Jahrhundert, éd. par Eduard Plüss et Hans Christoph von Tavel, Frauenfeld: Huber, 1958-1967, vol. 2, p. 743; 19-39. La Suisse romande entre les deux guerres, catalogue d'exposition, Lausanne, été 1986, Lausanne: Payot, 1986. (2) On connaît peu de choses sur la vie et la personnalité de Pitteloud. Dans le catalogue de 1950, Edouard Muller évoque toutefois son caractère intransigeant et son «existence ouverte quand même aux sollicitations d'une bohême assez friande d'excès comme était alors celle des peintres dont il avait fait ses amis.» in: “Pierre-Barthélémy Pitteloud, Composition à la cann à pêche, 1937” dans Le Musée cantonal des beaux-arts de Sion, 1947-1997. Naissance et développement d'une collection publique en Valais: contextes et modèles, dir. par Pascal Griener et Pascal Ruedin, Sion: Musées cantonaux, 1997, p. 286-287.