Laurent Sester, 1997 :
Edmond Bille (1878-1959), La Bataille de Sempach, 1925, vitrail, 138 x 259 cm, Musée d'art du Valais, Sion, inv. BA 1805, achat sur le marché de l'art en 1991 La Bataille de Sempach est l'envoi de Bille à l'Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris. La composition se présente comme un triptyque. Cette structure requise par le matériau contribue à sacraliser l'iconographie historico-mythique. Le ciel n'apparaît qu'à peine dans la partie centrale, sur un lac fortement stylisé, mais les drapeaux occupent une place prépondérante au-dessus d'un enchevêtrement de corps de soldats, définis par des surfaces géométriques de couleurs vives. L'œuvre est une sorte de "vitrail de salon", d'objet tridimensionnel. On peut y voir un exemple des nouvelles formes d'aménagement auxquelles Bille appelle dans son rapport aux autorités fédérales sur l'Exposition de 1925: «Le vitrail, descendu enfin de sa fenêtre médiévale, quittera son aspect gothique pour devenir dans le Home moderne un tableau lumineux aux couleurs rares et précieuses (1).» Cette position reflète l'intérêt croissant que le peintre manifeste dès 1919 pour l'ornementation et la décoration. Se détournant du tableau de chevalet, Bille oriente sa carrière presque exclusivement vers le vitrail et les décors peints monumentaux. Sa production journalistique connaît une évolution semblable et privilégie désormais les arts décoratifs et appliqués. A la réorientation de Bille vers les arts appliqués, il faut ajouter son rapprochement de l'art religieux moderne, alors en pleine éclosion grâce au Groupe de Saint-Luc emmené par Alexandre Cingria (1879-1944). Bille fait cavalier seul mais, dans les années vingt et trente, il est chargé de la décoration de plusieurs églises (notamment celles de Fully et Chamoson). Il conçoit ce travail comme «une façon d'introduire une esthétique moderniste auprès d'un public populaire (2).» Dès 1923, Bille vise à recréer un environnement de qualité et de beauté, et désire rendre l'art des musées à la rue. Dans cette optique, le peintre s'engage pour un art moderne, marqué du sceau national, capable de faire reconnaître la Suisse dans les épreuves internationales sous un autre jour que les clichés traditionnels de l'artisanat touristique (3). Le vitrail figuratif de la Bataille de Sempach illustre cette conception d'un art «moderne et national», capable de relayer la production de Ferdinand Hodler (1853-1918). Par le choix de l'épisode historique du héros Winkelried embrassant les hallebardes ennemies, Bille propose un manifeste d'art, reconnaissable par tous, dont la lisibilité est un facteur capital: la dimension plane et la simplification des drapeaux, modèles de l'art populaire, en font des emblèmes, vecteurs d'identification au canton ou au pays. 1) «La Participation de la Suisse à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, à Paris 1925.» Rapport présenté au Départ. féd. de l'Intérieur par Edm. Bille, membre de la Commission fédérale des Arts appliqués, p. 3 (AEV, Fonds Edmond Bille, 9, 61). 2) RUEDIN, 1991, p. 63. 3) Voir: Hans-Christoph VON TAVEL, L'iconographie nationale, Disentis: Pro Helvetia et Desertina, 1992 ("Ars Helvetica X. Arts et culture visuels en Suisse"); Hans A. LUETHI, «From Heimatkunst to "Degenerate" Art. On the Contemporary Reception of Swiss Painting 1890-1914», dans: 1000 years of Swiss Art, éd. par Heinz HORAT, New York: Hudson Hills, 1992, p. 311-326 in: “Edmond Bille, La bataille de Sempach, 1925” in Le Musée cantonal des beaux-arts de Sion, 1947-1997. Naissance et développement d'une collection publique en Valais: contextes et modèles, dir. par Pascal Griener et Pascal Ruedin, texte de Laurent Sester, Sion: Musées cantonaux, 1997, pp. 260-261.