Dora Precup, 2010 :
Magdalena Abakanowicz (1930-2017), Structure de Kristine, 1975, tapisserie en sisal, 124 x 155 cm, Musée d’art du Valais, Sion, Donation Line et Jean-Philippe Racine, inv. BA 2957, achat à la Galerie Alice Pauli à Lausanne en 1975 Formée à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, Magdalena Abakanowicz s'intéresse d’abord à la peinture et à la sculpture. Sa prédilection pour les techniques du tissage, à partir des années soixante, lui confère toutefois le rôle de pionnière à la 1ère Biennale internationale de la tapisserie, organisée à Lausanne en 1962. Se succèdent ensuite des prix prestigieux et une reconnaissance internationale acquis lors des expositions personnelles de l’artiste dans de très nombreux musées et galeries. En Suisse, Abakanowicz noue un contact privilégié avec la Galerie Alice Pauli, où elle expose pour la première fois en 1967. C’est dans cette galerie lausannoise que Jean-Philippe et Line Racine achètent deux tapisseries de l’artiste : Papillon blanc en 1974 (cat. 7) et Structure de Kristine en 1975. Par leur technique et leur texture, les tapisseries d'Abakanowicz s'éloignent des méthodes classiques utilisées dans les ateliers d’Aubusson, de Beauvais ou des Gobelins ; l’appellation de « nouvelle tapisserie » leur sied mieux. Leur composition audacieuse et expressive intègre et privilégie des matériaux inédits, tels que le sisal, le crin, le bois ou le métal, qui servent à accentuer les volumes et les reliefs, au détriment de la surface plane et homogène. Abandonnant le carton traditionnel, créé par l’artiste puis confié à l’artisan lissier pour exécuter la tapisserie, l'œuvre y gagne en autonomie. De nature expérimentale, librement réalisée par l'artiste elle-même, la « tapisserie » d’Abakanowicz ne mérite peut-être plus tout à fait ce nom. La créatrice produit des objets indépendants qui s'éloignent du domaine de la décoration murale pour gagner l'espace et s'accorder, tels des sculptures, à leur environnement. Elle les appelle les Abakanes, faisant ainsi référence à son propre patronyme. Ces œuvres s’apparentent à ce que l’on nomme, dans la nouvelle tapisserie, des « textilereliefs » ou des « architextures ». Conservant son aspect d'œuvre liée au mur, Structure de Kristine cherche à faire dialoguer l'objet tissé et son environnement spatial. A la même période, l'artiste réalise toute une série de formes textiles sculptées : dos, têtes ou figures assises. Le thème du corps écorché)18) est au centre de ces créations qui divulguent l'anatomie et les ressorts intimes de l’être humain. En dépouillant la chair jusqu'au dévoilement des veines et des nerfs, Abakanowicz semble nous emporter dans une relation troublante avec un corps blessé et ensanglanté. Le système d'analogies(19) entre l'enchevêtrement des fibres rouges, le système des nœuds et des fils en sisal et les tissus sous-cutanés clament toutefois la vie et l'origine commune du monde organique. Amplifiée et fissurée, la surface éclate pour mieux dévoiler sa substance interne. Dans ses réflexions théoriques sur l'art du tissage, Magdalena Abakanowicz déclare défier les règles pour inciter le spectateur à exercer son imagination(20). Son innovation ne consiste pas dans la reconsidération théorique et historiographique de la notion de tapisserie ; c'est la relation et le contact naturel entre l'objet tissé et l'être humain qui l’emporte. En ce sens, Structure de Kristine cherche à introduire le spectateur dans sa propre composition, jusqu'aux derniers recoins de ses profondeurs. Ouverte et vivante, l'œuvre textile devient habitable ; l'imagination supplée les tensions et les ruptures entre le visible et l'invisible. (18) Voir Pierre et Marguerite Magnenat, « Magdadalena Abakanowicz », dans : Art textile international, cat. exp., Musée de l'Hospice Saint-Roch, Lausanne, 2004. (19) Voir Jean-Luc Daval, Abakanowicz : structures organiques et formes humaines, cat. exp., Galerie Alice Pauli, Lausanne, 1975. (20) Introduction de Magdalena Abakanowicz, dans : Abakanowicz. Jagoda Buic, cat. exp., Galerie Alice Pauli, Lausanne, 1969, n.p in: “Magdalena Abakanowicz, Structure de Kristine, 1975” dans Donation Line et Jean-Philippe Racine au Musée d’art du Valais, dir.: Pascal Ruedin, Sion: Musée d’art, 2010, pp. 28-29, cat. no. 6.