David Zagoury, 2018 :
Hiroshi Sugimoto (*1948), Hayden Orpheum, Sydney, 1997, tirage photographique noir-blanc, 42 x 54 cm. Musée d’art du Valais, Sion. Dépôt d’une collection privée en 1998. Inv. BA 2623 En 1975, le photographe japonais Hiroshi Sugimoto, installé depuis peu à New York, se dit sujet à une vision: « Qu’arriverait-il si tu photographiais un film entier en une seule pose? » (1). Il place alors un appareil à chambre 8x10 le plus loin possible d’un écran de cinéma, ouvre l’obturateur au début de la projection et le referme à l’apparition du générique de fin. Le résultat de cette exposition longue se lit dans les nombreux clichés, à la fois oniriques et tranchants, de sa série Theaters qui s’étend sur vingt-six années (jusqu’en 2001) (2). On y découvre un écran parfaitement blanc, et les moindres reliefs du décor de la salle, méticuleusement cernés par leurs ombres et bercés d’une lumière irréelle. À en croire Sugimoto, les films tragiques rendraient une nuance de blanc plus sombre, alors qu’un film gai donne un blanc plus lumineux (3). La présente photographie a été réalisée en 1997 dans la salle historique du Hayden Orpheum Theatre de Cremorne, en banlieue de Sydney. La lumière lente de Sugimoto sert parfaitement l’intérieur Art déco dessiné par G. N. Kenworthy en 1935, ses jeux de frises géométrisées rappelant le style élégant de Timothy Pflueger, sa cartouche flanquée de volutes, jusqu’aux nuées des murs peints à l’éponge. Sugimoto crée ainsi, avec l’appui de cette richesse ornementale, une sorte de marginalia photographique. Or l’oeil est incessamment renvoyé à ce qui fait le coeur de l’image : l’écran rectangulaire parfaitement blanc, cette béance qui fait retour au monochrome, « degré zéro des forms » (Malevitch) (4), ironie de la non-image ou blanc-seing de tous les possibles. Sugimoto engage un questionnement théorique sur la nature de son propre médium. Dans la représentation d’une « salle obscure », autant dire d’une chambre obscure (camera obscura, métaphore même de l’outil photographique), il produit un cliché qui, du fait de son temps d’exposition, n’est plus un « instantané », mais bien le précipité d’une durée du visible. Se plaçant simultanément en spectateur de cinéma et en « spectateur » photographique, il « filme » pour ainsi dire le film, fait de tous les plans filmiques un seul « plan » monochromatique, et cristallise dans cette image l’enchevêtrement des médias, l’oxymore d’une photographie-cinéma. Il se place ainsi en conversation avec la théorie dite de l’ontologie (la nature) de la photographie. Pour André Bazin, « la photographie est une technique infirme dans la mesure où son instantanéité l'oblige à ne saisir le temps qu'en coupe », alors que « le cinéma réalise l'étrange paradoxe de se mouler sur le temps de l'objet et de prendre par surcroît l'empreinte de sa durée » (5). Contre cette conception, défendue également par Roland Barthes (6), du cinéma comme photographie animée, Sugimoto démontre que la photographie est toujours le témoignage d’une durée — idée soutenue par John Szarkowski pour lequel « il n’y a pas de photographie instantanée [...], chacune décrit une parcelle discrète de temps » (7). Paradoxalement, pendant ce «temps», sous nos yeux le cinéma s’évanouit dans un invisible blizzard de lumière, digne de la Première communion par un temps de neige d’Alphonse Allais. 1) Kerry Brougher et Pia Müller-Tamm, Hiroshi Sugimoto, Ostfildern, Hatje Cantz, 2010, p. 77. 2) Le catalogue le plus complet des Theaters de Sugimoto a été publié en 2006 par Walther König, Cologne, sous le titre Hiroshi Sugimoto: Theatres, enrichi de l’essai de Hans Belting qui préfaçait déjà la première édition. 3) Sally O’Reilly, « Hiroshi Sugimoto »,in Contemporary, 67 (2004), p. 95. 4) Tract accompagnant l’exposition « 0-10 » (Petrograd, 1915) reproduit dans Kasimir Malévitch, Le miroir suprématiste, Lausanne, L’Age d’Homme, 1977, p. 43. 5) André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma?, Paris, Ed. du Cerf, 1994, p. 151. 6) Roland Barthes, « Rhétorique de l'image », in Communications, 4 (1964), p. 47. 7) John Szarkowski, The Photographer’s Eye, New York, Museum of Modern Art, 1966, non paginé. --- Hiroshi Sugimoto (*1948), Hayden Orpheum, Sydney, 1997, Schwarzweiss-Fotoabzug, 42 x 54 cm. Kunstmuseum Wallis, Sitten. Leihgabe einer Privatsammlung 1998. Inv. BA 2623 Im Jahr 1975 hat der japanische Fotograf Hiroshi Sugimoto, der seit kurzem in New York lebt, einen Geistesblitz: «Was passiert, wenn du einen ganzen Film in einer einzigen Belichtung fotografierst?» (1) So platziert er eine 8x10-Kamera in grösstmöglicher Entfernung von einer Filmleinwand, öffnet den Verschluss am Anfang der Projektion und schliesst ihn wieder beim Abspann. Das Ergebnis dieser langen Belichtung ist in den zahlreichen ebenso traumhaften wie scharfen Aufnahmen seiner Serie Theaters zu sehen, die in 26 Jahren (bis 2001) entstand (2). Zu entdecken sind eine vollkommen weisse Leinwand und kleinste Reliefs der Saaldekoration, die, minutiös von ihren Schatten begrenzt, in ein irreales Licht getaucht sind. Will man Sugimoto glauben, würden tragische Filme ein etwas dunkleres Weiss, fröhliche Filme dagegen ein etwas helleres Weiss erzeugen (3). Die vorliegende Fotografie wurde 1997 im historischen Saal des Hayden Orpheum Theatre in Cremorne, einem Vorort von Sydney, aufgenommen. Sugimotos mattes Licht bringt das 1935 von G. N. Kenworthy gestaltete Art-Deco-Interieur perfekt zur Geltung, die geometrischen Friese, die an den eleganten Stil von Timothy Pflueger erinnern, die von Voluten gerahmte Kartusche und die Wolken auf den mit Schwamm bemalten Wänden. So schafft Sugimoto, gestützt auf diese ornamentale Fülle, eine Art fotografische Marginalie. Das Auge wird ständig zurückgelenkt zu dem, was das Zentrum der Aufnahme bildet: die vollkommen weisse rechteckige Leinwand, diese Leere, die das Monochrom zurückkommen lässt, «Nullpunkt der Formen» (Kasimir Malewitsch) (4), Ironie des Nicht-Bildes oder Blankovollmacht, die alles ermöglicht. Sugimoto unternimmt eine theoretische Befragung der Natur seines eigenen Mediums. In der Darstellung eines «dunklen Saals», wenn nicht einer «dunklen Kammer» (camera obscura, Metapher für den Fotoapparat), produziert er ein Bild, das aufgrund seiner Belichtungszeit keine «Momentaufnahme» mehr ist, sondern der Niederschlag einer Dauer des Sichtbaren. Indem er sich gleichzeitig zum Filmbetrachter und zum «fotografischen» Betrachter macht, «filmt» er gleichsam den Film, verwandelt alle Filmeinstellungen in eine einzige monochrome «Einstellung» und kristallisiert in diesem Bild die Verflechtung der Medien, das Oxymoron einer Film-Fotografie. So führt er ein Gespräch mit der sogenannten Theorie der Ontologie (Natur) der Fotografie. Für André Bazin «ist die Fotografie eine behinderte Technik, insofern sie ihre Augenblicklichkeit zwingt, die Zeit lediglich in Schnitten zu erfassen», während «dem Film das seltsame Paradox gelingt, sich nach der Zeit des Objekts zu richten und überdies den Abdruck seiner Dauer zu nehmen» (5). Gegen diese ebenfalls von Roland Barthes (6) vertretene Auffassung des Films als belebter Fotografie beweist Sugimoto, dass die Fotografie stets das Zeugnis einer Dauer ist – eine Idee, die auch John Szarkowski verteidigt, für den «es keine Momentaufnahme gibt […], jede Fotografie beschreibt eine diskrete Parzelle der Zeit» (7). Paradoxerweise verschwindet während dieser «Zeit» der Film in einem unsichtbaren Licht-Blizzard, welcher der Erstkommunion bei Schneetreiben von Alphonse Allais würdig ist. 1) Kerry Brougher und Pia Müller-Tamm, Hiroshi Sugimoto, Ostfildern: Hatje Cantz 2010, S. 77. 2) Das vollständigste Verzeichnis von Sugimotos Theaters hat Walther König 2006 in Köln publiziert unter dem Titel Hiroshi Sugimoto: Theatres, mit einem Essay von Hans Belting, der bereits das Vorwort zur ersten Auflage verfasste. 3) Sally O’Reilly, «Hiroshi Sugimoto», in Contemporary 67 (2004), S. 95. 4) Flugblatt zur Ausstellung «0-10» (Petrograd, 1915), zit. nach Larissa Shadowa, Malewitsch, Suche und Experiment, München: Schirmer / Mosel 1982, S. 60. 5) André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma?, Paris: Ed. du Cerf 1994, S. 151. 6) Roland Barthes, «Rhétorique de l'image», in Communications 4 (1964), S. 47. Deutsche Übersetzung: «Rhetorik des Bildes» in: Alternative. Blätter für Literatur und Diskussion 9 (1967), H. 54, S. 28–46. 7) John Szarkowski, The Photographer’s Eye, New York: Museum of Modern Art 1966, unpaginiert.