Marco Jalla, 2021 :
Raphael Ritz (1829 - 1894), Enfants jouant à Colin-maillard dans un intérieur, étude pour Le Colin-maillard (1859; localisation inconnue), 1857, crayon graphite et gouache sur papier, 25.2 x 31.5 cm, Musée d’art du Valais, Sion, inv. BA D 1395 En février 1856, Raphael quitte l’Académie de Düsseldorf et rejoint l’atelier du peintre de genre Rudolf Jordan. Il s’agit d’une étape décisive pour le jeune artiste, comme il l’écrit lui-même à son père : « J’ai franchi [...] une étape très importante, entamé une nouvelle époque de ma vie ; car je commence maintenant ma carrière en tant qu’artiste pratiquant, j’ai rejoint l’atelier de Jordan et commencé ma première peinture de genre. […] Jordan est le meilleur professeur ici, aussi bien en dessin et en composition qu’en couleur et en exécution, etc. ; sa méthode est tout à fait excellente » (1). Jordan enseigne à Ritz la peinture de genre ethnographique et l’aide à réaliser ses premiers tableaux présentant des sujets valaisans. Il lui apprend à évoquer la vie quotidienne des populations rurales d’une manière qui parle au plus grand nombre et qui pique la curiosité du public à travers la couleur locale. Le Colin-Maillard fait partie des œuvres réalisées sous la direction de Jordan. La création d’un tableau dans l’atelier de Jordan suit un processus parfaitement réglé. Tout commence par une « composition », c’est-à-dire un dessin au crayon qui fixe le sujet du tableau. Vient ensuite le « carton », un dessin à l’échelle de l’œuvre finale qui est calqué sur la toile. Il s’agit ensuite de travailler la couleur en réalisant une ou plusieurs esquisses rapidement brossées. Ce n’est qu’après toutes ses étapes que commence véritablement la peinture du tableau. Ainsi, le dessin au crayon avec des rehauts de blanc pour le Colin-Maillard, daté en bas à droite du 30 mars 1857, est clairement une composition. Ritz pose le décor et organise les six personnages de son futur tableau. Il situe sa scène de famille dans un intérieur. Une enfant joue le rôle du « chasseur », avec les yeux bandés, pendant que ses petits frères et sœurs l’appellent en se cachant soit derrière, soit sous la chaise et sous la table qu’occupe le père qui semble aussi participer au jeu. La mère regarde ses enfants d’un air amusé tout en continuant à préparer le repas. Le décor avec la cuisine dans le fond n’est encore qu’esquissé. Ritz allait y travailler plus tard. Seuls sont représentés avec un certain soin les éléments principaux de la scène (2). Au dos, le dessin porte l’inscription autographe « Gemalt 1859 » [= peint en 1859]. Ritz a donc mis près de deux ans à finaliser son tableau, aujourd’hui malheureusement perdu. Présenté à l’exposition de la Kunstverein für die Rheinlande und Westfalen de 1859 à Düsseldorf, le tableau a été acquis par la Kunstverein pour la somme rondelette de 30 frédéric d’or. Il a aussi été reproduit en lithographie par August Lüttmann (1830-1882) dans le Düsseldorfer Künstleralbum de 1863 (3). Ce type de scène de genre sentimentale est toutefois relativement rare dans l’œuvre de Ritz. Celui-ci préfère, en effet, représenter la vie pensive de ses personnages en train de lire en silence (voir Femme lisant dans une cuisine de Valère, Musée d’art du Valais, inv. BA 1335), concentrés sur une tâche ou contemplant un paysage. Le côté sentimental sera plutôt l’apanage des scènes de genre d’autres peintres suisses, tels que le bernois Albert Anker ou le vaudois Benjamin Vautier. 1) Lettre de Raphael Ritz à ses parents, Düsseldorf, le 15 février 1856. Archives de l’Etat du Valais (AEV), Sion, P 76. 2) Dans sa correspondance avec ses parents, Ritz évoque qu’il a présenté son dessin à Jordan et à ses camarades pour recevoir leurs critiques. Il est fier d’écrire qu’il a beaucoup plu à son professeur. Voir la lettre de Raphael Ritz à ses parents, Düsseldorf, le 5 avril 1857. AEV, Sion, P 90. 3) Düsseldorfer Künstleralbum, 13, 1863, p. 25.