Maelle Tappy, 2019 :
Edouard Vallet, Le Repos des faucheurs, 1913, 40,7 x 50,9 cm (support), eau-forte, burin et aquatinte, état 9/9, 1913, Musée d’art du Valais, Sion, inv. BA D 905 Installé au Grand-Saconnex près de Genève, Vallet effectue dès 1908-1909 différents séjours en Valais. Sa découverte de la région valaisanne coïncide avec le début d’une période particulièrement féconde consacrée à la gravure. Durant les dix années qui suivront, il réalisera en effet soixante-huit des septante-sept gravures valaisannes que compte son œuvre (1). La vie des paysans de montagne qu’il observe alors semble propice à sa pratique de l’eau-forte : « C’est pour moi un mode d’expression idéal, pour faire penser un peu les gens à la rude existence des montagnards, à cette vie encore si primitive, et qui, entre le berceau et la tombe ne connaît que bien peu de fantaisie… » (2). Mais c’est aussi et surtout un mode d’expression que Vallet revendique comme technique artistique à part entière, en continuité étroite avec son œuvre peint et dessiné. Pour le Repos des faucheurs, travail de commande destiné aux membres de la Société des peintres et sculpteurs suisses, Vallet aborde par la gravure un thème qui l’occupera à plusieurs reprises, celui du repos du paysan, pendant intime du travail, moment d’abandon où le corps, recru de fatigue, se relâche, somnole (3). En représentant deux hommes allongés dans un champ, Vallet porte son attention au quotidien d’une communauté montagnarde, rythmé par le travail de la terre et marqué par les fatigues du labeur. La composition rappelle d’emblée le dessin de Jean-François Millet pour Les Quatre heures de la journée (1866) repris par Vincent Van Gogh dans La Méridienne (1889-1890). Mais l’expression de la ruralité se double d’une dimension hautement symbolique : deux faux, dont l’une apparaît représentée toute entière, encadrent les dormeurs. Attribut de la mort, sa lame blanche, cernée d’un sillon noir que l’artiste a profondément creusé dans la plaque de zinc, semble fendre le papier comme une blessure étincelante. Cette référence à « la grande faucheuse », que l’on trouve dans le Riposo all’ombra de Giovanni Segantini (1892), donne aux deux dormeurs l’apparence de gisants : l’homme au premier plan, allongé sur le dos, le buste légèrement redressé et la main droite comme marquée d’une plaie, évoque le Christ mort couché sur son linceul de Philippe de Champaigne (vers 1654) tandis que son compagnon semble recouvert d’un linceul. Le format oblong de la composition renforce la dimension horizontale, celle de la mort. A partir d’un sujet puisé dans le quotidien paysan, Vallet donne à son œuvre une résonance universelle. En 1919, l’artiste reprendra ce même thème pour les Heures calmes en y intégrant une scène de maternité comme contrepoint vital à l’image de la mort. Dans Le Repos des faucheurs réalisé avant guerre, Vallet suggère la dimension symbolique de manière plus allusive. Et sa pratique de la taille-douce, dont résulte une composition toute en nuances, y participe : l’aquatinte lui permet d’obtenir des valeurs intermédiaires subtiles et vibrantes entre le blanc de la feuille et le noir profond de l’eau-forte qui modèlent avec une grande douceur le visage du dormeur, donnant à la scène une atmosphère paisible et rêveuse. Cette gravure est un exemple particulièrement saisissant du grand coloriste que savait être Vallet, tant dans son œuvre peint que dans son œuvre gravé, accordant une importance particulière au tirage de ses gravures et au noir de ses encres qu’il considérait comme une couleur à part entière : « C’est une planche qui m’a fait beaucoup travailler car la première morsure n’était pas assez forte » (4). Elle esquisse également avec une grande force la proximité de la vie et de la mort que Vallet n’a cessé d’interroger dans ses œuvres liées à la période valaisanne : cette frontière infime qui sépare les défunts des vivants, le repos du dernier sommeil. En 1918, Vallet résumera ainsi sa quête : « […] le symbole de ma vie : m’enfermer dans d’étroites limites, mais qui contiendraient, pour moi – comme un résumé d’univers ; où je pourrais dans un domaine restreint, mais que je sentirais uniquement à moi, exprimer l’essentiel, l’élémentaire de la vie humaine : travail, amour, maternité, et jusqu’au seuil du grand mystère. Et tout cela enveloppé de sérénité » (5). 1) Jean-Petit-Matile Maurice, Giroud Jean-Charles, Edouard Vallet. Maître de la gravure suisse, Denges : Editions du Verseau, 1991, p. 29. 2) Lettre du 12 mars 1917 à Hans Graber publiée dans Edouard Vallet, Correspondance, édition, introduction et notes par Jean-Charles Giroud, Genève : Patrick Kramer, Editeur, 2000, p. 132. 3) Dans une lettre qu’il adresse le 3 août 1913 à Hans Graber, Vallet évoque cette gravure : « […] je vais faire aussi l’estampe pour les membres passifs de la Sté des Peintres et sculpteurs suisses. […] J’ai l’intention de faire pour cette planche des « Moissonneurs au repos » étendus sur l’herbe et c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup ; j’ai déjà depuis plusieurs années les études dans un portefeuille et suis content de l’exécuter prochainement. », in Edouard Vallet, Correspondance, op.cit., 2000, p. 51. Le dessin Le repos des faucheurs (HEDV D1877, reproduit dans Edouard Vallet, Dessins – Zeichnungen, sous la dir. De Antonia Nessi, Vercorin : Fondation Edouard Vallet, Sulgen : Benteli Verlag, 2012) compte parmi ces dessins qui ont précédé l’œuvre gravée. 4) Lettre du 23 mars 1914 à Hans Graber publiée dans Edouard Vallet, Correspondance, édition, introduction et notes par Jean-Charles Giroud, Genève : Patrick Kramer, Editeur, 2000, p. 62. Voir aussi « Derrière le peintre, le graveur », in Jacques Dominique Rouiller, Edouard Vallet, cat. exp (Fondation Pierre Gianadda, Martigny, 17.11.2006 – 4.3.2007), Martigny : Fondation Pierre Gianadda, 2006, p. 160. 5) Lettre du 26 décembre 1918 à Alexis François, in Edouard Vallet, Correspondance, édition, introduction et notes par Jean-Charles Giroud, Genève : Patrick Kramer, Editeur, 2000, p. 189. --- Edouard Vallet, Le Repos des faucheurs, 1913, 40,7 x 50,9 cm (Träger), Kaltnadelradierung und Aquatinta, Zustand 9/9, Kunstmuseum Wallis, Sitten, Inv. BA D 905 In Le Grand-Saconnex bei Genf ansässig, hält sich Edouard Vallet von 1908–1909 an immer wieder im Wallis auf. Seine Entdeckung dieser Region fällt mit dem Beginn einer besonders ergiebigen Periode zusammen, die vollständig der Druckgrafik gewidmet ist. In den folgenden zehn Jahren fertigt er 68 der 77 Grafikblätter an, die sein Werk umfasst (1). Das Leben der Bergbauern, das er damals beobachtet, scheint seiner Radiertätigkeit förderlich zu sein: «Für mich ist es ein ideales Ausdrucksmittel, um die Leute ein wenig über die harte Existenz der Bergler nachdenken zu lassen, über dieses immer noch so primitive Leben, das zwischen Wiege und Grab nur wenig Fantasie kennt…» (2). Es ist aber auch und vor allem eine Ausdrucksweise, die für Vallet eine eigenständige künstlerische Technik in enger Kontinuität mit seinem Mal- und Zeichenwerk darstellt. Für Die Mittagsruhe der Mäher, ein Auftragswerk für die Mitglieder der Gesellschaft Schweizerischer Maler und Bildhauer (GSMB), behandelt Vallet in Radiertechnik ein Thema, das ihn verschiedentlich beschäftigt: die Rast des Bauern, intimes Gegenstück zur Arbeit, ein Moment der Ungezwungenheit, in dem sich der erschöpfte Körper entspannt und döst (3). Mit der Darstellung zweier Männer, die ausgestreckt in einem Feld liegen, richtet Vallet seine Aufmerksamkeit auf den Alltag einer Berglergemeinde, der im Zeichen der Feldarbeit steht und von Mühsal geprägt ist. Die Komposition erinnert unmittelbar an Jean-François Millets Zeichnung für Les Quatre heures de la journée (1866), die Vincent van Gogh in La Méridienne (1889–1890) neugestaltet. Der Ausdruck von Ländlichkeit wird jedoch um eine hochsymbolische Dimension erweitert: Zwei Sensen – die eine ist vollständig dargestellt – rahmen die Schläfer ein. Ihre blanke Klinge, Attribut des Todes, wird von einer schwarzen Linie eingefasst, die der Künstler tief in die Zinkplatte geritzt hat; sie scheint das Papier wie eine blitzende Wunde aufzureissen. Diese Anspielung auf den «grossen Schnitter», die man auch in Giovanni Segantinis Riposo all’ombra (1892) findet, lässt die beiden Schläfer wie liegende Grabfiguren erscheinen: Der Mann im Vordergrund, der mit leicht aufgerichtetem Oberkörper auf dem Rücken liegt und dessen rechte Hand eine Wunde aufweisen könnte, erinnert an den Leichnam Christi auf dem Leichentuch von Philippe de Champaigne (um 1654), während sein Begleiter von einem Leichentuch bedeckt zu sein scheint. Das längliche Format der Komposition verstärkt die horizontale Dimension, die auf den Tod verweist. Ausgehend von einem Thema aus dem bäuerlichen Alltag, gibt Vallet seinem Werk eine universelle Resonanz. Im Jahr 1919 greift der Künstler dasselbe Thema nochmals für die Heures calmes auf und fügt eine Mutterschaftszene als vitalen Kontrapunkt zum Bild des Todes hinzu. In der Druckgrafik Die Mittagsruhe der Mäher, die vor dem Krieg entstand, deutet Vallet die symbolische Dimension weniger deutlich an. Dazu trägt auch die Tiefdrucktechnik bei, die zu einer nuancenreichen Komposition führt: Die Aquatinta erlaubt ihm, subtile, schwingende Zwischenwerte zwischen dem Weiss des Blatts und dem Tiefschwarz der Radierung zu erzielen, die das Gesicht des Schläfers mit grosser Sanftheit modellieren und der Szene eine friedliche, verträumte Atmosphäre verleihen. Dieses Blatt ist ein besonders eindrucksvolles Beispiel für den grossen Koloristen Vallet, als den er sich in seiner Malerei wie seiner Druckgrafik erweist, wobei er dem Druck seiner Grafiken und dem Schwarz seiner Tinten, das er als eigenständige Farbe betrachtet, besondere Bedeutung beimisst (4) : «Es ist ein Blatt, das mich viel Arbeit gekostet hat, da die erste Ätzung nicht stark genug war.» Mit grosser Kraft skizziert er ebenfalls die Nähe von Leben und Tod, die er in seinen Werken der Walliser Zeit immer wieder behandelt: diese winzige Grenze zwischen Toten und Lebenden, die Ruhe des letzten Schlafs. 1918 fasst er seine Suche wie folgt zusammen: «[...] Das Symbol meines Lebens: mich in enge Grenzen einzuschliessen, die aber für mich gleichsam eine Zusammenfassung des Universums enthielten, das Wesentliche, Elementare des menschlichen Lebens zum Ausdruck zu bringen: Arbeit, Liebe, Mutterschaft, und dies bis zur Schwelle des grossen Geheimnisses. Und das alles eingehüllt in Gelassenheit.» (5) 1) Jean-Petit-Matile Maurice, Giroud Jean-Charles, Edouard Vallet. Maître de la gravure suisse, Denges: Editions du Verseau 1991 S. 29. 2) Brief vom 12. März 1917 an Hans Graber, publiziert in Edouard Vallet, Correspondance, mit Einführung und Anmerkungen hg. von Jean-Charles Giroud, Genf: Patrick Kramer, Editeur 2000, S. 132. 3) In einem Brief, den Vallet am 3. August 1913 an Hans Graber richtet, erwähnt Vallet diese Radierung: «[…] Ich werde auch den Stich für die Gesellschaft Schweizerischer Maler und Bildhauer anfertigen. […] Ich habe die Absicht, für dieses Blatt ‘Schnitter bei der Rast’ darzustellen, die im Gras liegen, ein Sujet, das mich sehr interessiert; seit mehreren Jahren habe ich die Studien bereits in einer Mappe gesammelt und freue mich, sie demnächst auszuführen.», in Edouard Vallet, Correspondance, a a. O., 2000, S. 51. Die Zeichnung Le repos des faucheurs (HEDV D1877, abgebildet in Edouard Vallet, Dessins – Zeichnungen, hg. von Antonia Nessi, Vercorin: Fondation Edouard Vallet, Sulgen: Benteli Verlag 2012) gehört zu diesen Zeichnungen, die der Druckgrafik vorausgehen. 4) Brief vom 23. März 1914 an Hans Graber, publiziert in Edouard Vallet, Correspondance, mit Einführung und Anmerkungen hg. von Jean-Charles Giroud, Genf: Patrick Kramer, Editeur 2000, S. 62. Vgl. auch «Derrière le peintre, le graveur», in Jacques Dominique Rouiller, Edouard Vallet, Ausst.-Kat. (Fondation Pierre Gianadda, Martigny, 17.11.2006 – 4.3.2007), Martigny: Fondation Pierre Gianadda 2006, S. 160. 5) Brief vom 26. Dezember 1918 an Alexis François, in Edouard Vallet, Correspondance, mit Einführung und Anmerkungen hg. von Jean-Charles Giroud, Genf: Patrick Kramer, Editeur 2000, S. 189.