Morand Marie Claude , 2003 :
Né à Paris en 1692, Maurice de Courten servira la France sa vie durant, d’abord dans les rangs du régiment de Courten dont il gravira tous les échelons (de cadet en 1706 à colonel en 1744) ensuite comme brigadier puis maréchal de camp des armées du roi (1743) et enfin comme lieutenant général dès 1748. Il prend part aux campagnes des guerres d’Espagne (1701–1714), de Pologne (1731–1738) et d’Autriche (1741–1748). Il s’est distingué au siège de Prague en 1742 par de hardis coups de main. Il sera la même année le délégué français au couronnement de Charles VII à Francfort, où il recevra le titre de comte du Saint-Empire. Il fut fait gouverneur de Maestricht, de Namur et de Limbourg. Chargé par Louis XV de missions diplomatiques et militaires auprès de Frédéric II de Prusse en 1745 et de Marie-Thérèse d’Autriche en 1757, il attire l’attention de Voltaire qui le brocarde dans un épigramme «Au courtisan le plus avisé!/Au Gascon le plus rusé!Courten peut servir de modèle/.Vous allez me checher querelle/Il est Suisse à la vérité/Mais Suisse si bien déguisé/ Que ses amis, aussi bien que son maître/Sans sa candeur et sa fidélité/ Auraient peine à le reconnaître» (VALLIÈRE, P. de, Honneur et fidelité, Genève 1940, p. 444). Il collabore, après la guerre de Sept ans (1756–1763) désastreuse pour la France qui perd la plupart de ses colonies au profit de l’Angleterre, avec le duc de Choiseul, ministre de Louis XV, à la réforme de l’armée. On lui doit la création et la rédaction des statuts de l’Ordre du Mérite militaire, institué par Louis XV en 1759 pour récompenser les officiers suisses de confession protestante qui ne pouvaient recevoir le très catholique Ordre de Saint-Louis. Il meurt sans descendance à Paris le 29 janvier 1766 et sera enterré à l’église Saint-Eustache. La silhouette massive de Maurice de Courten, la main sur l’épée et l’autre tenant ses gants blancs, se détache à mi-corps sur un fond sombre avec en bas à gauche une scène de siège, peut-être celui de la ville de Prague où Maurice de Courten s’était particulièrement illustré. Vêtu de son uniforme de lieutenant général, il porte le cordon rouge et la Grand-Croix de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis qu’il reçut en 1759. Rabiato lui a fait un visage marqué, creusé par le clair-obscur, et caractérisé par une impression de lassitude, malgré la pose plutôt altière. C’est l’image d’un soldat ayant gravi tous les échelons de la hiérarchie, ayant participé à toutes les batailles, mais dont les exploits sont désormais «derrière» lui. Exécuté en 1776, le portrait est donc posthume. Qui l’a commandé? Peut-être son cousin au second degré, Ignace Antoine Pancrace de Courten (1720–1789) lequel, en tant que le plus âgé des cousins titrés dans le service étranger au moment de la mort du comte, hérita des papiers du grand Maurice ainsi que de son commandement à la tête du régiment de Courten. Tout comme Maurice, Ignace Antoine-Pancrace sera fait comte (en 1769) et deviendra lieutenant général des armées du roi (1784). Une carrière aussi parallèle pourrait avoir suscité chez Ignace Antoine Pancrace le désir de posséder un portrait de son «modèle», peut-être pour l’ajouter à la galerie qu’il avait commandée en 1768, au peintre Melchior Wyrsch (1732–1798) pour orner sa nouvelle résidence à Sierre et qu’il ne cessera de compléter. Il s’agit de vingt-trois portraits en buste des officiers supérieurs (lieutenant colonel et major) et des capitaines du régiment qu’il venait d’hériter à la suite de la mort de Maurice de Courten, y compris un portrait de lui-même à mi-corps en grande tenue de colonel. Entre 1768 et 1770, vingt des vingt-trois portraits repérés actuellement sont exécutés entre Sierre et Besançon où le peintre installe son atelier. Wyrsch complétera la série en 1774, 1779 et 1780 pour les trois derniers, réalisés dans la même veine et dans le même format sauf pour les officiers supérieurs. Or, sur douze portraits de cette galerie d’officiers ont été rajoutées les croix de l’Ordre de Saint-Louis chez ceux qui l’avaient reçue entre-temps, soit dans les années 1772–1789, date de l’octroi de la dernière croix de Saint-Louis pour ces officiers, date du décès d’Ignace Antoine Pancrace et de la dispersion de la galerie dans la parenté. Sept de ces rajouts concernent des décorations octroyées entre 1772 et 1776, date du portrait de Maurice; ils me paraissent tout à fait dans le style de Rabiato qui pourrait les avoir exécutés en même temps qu’il travaillait au portrait. Rabiato n’est pas un inconnu chez les de Courten à Sierre. En 1760 il a peint le portrait de Marie Madeleine de Courten, sœur d’Ignace Antoine Pancrace et épouse de Jean Antoine Adrien (1725–1803) l’un des douze cousins d’Ignace Antoine Pancrace; en 1766, il a exécuté le cycle des comédies de Molière pour le grand salon du château de Courten, une commande d’Ignace Antoine Pancrace. A la suite du portrait de Maurice de Courten, Rabiato réalisera encore le portrait d’un de Courten, en fraise celui-là, l’index de la main gauche levé pour indiquer par la fenêtre les collines de Valère et Tourbillon, assis à une table devant un document manuscrit. D’après la teneur de l’inscription au verso de la toile, il s’agit probablement d’Etienne (1603–1651), deuxième du nom, grand châtelain de Sion, arrière-grand-père commun de Maurice, d’Ignace-Antoine-Pancrace, de Jean Antoine Adrien et de sa femme Marie Madeleine. Voilà encore un portrait posthume dont le commanditaire doit certainement se trouver parmi les cousins mentionnés ci-dessus. Au cours de nos recherches, nous avons repéré deux autres versions du portrait de Maurice de Courten; hélas elles ne nous sont connues pour l’instant qu’à travers des reproductions photographiques. Elles ne semblent toutefois guère se distinguer de la nôtre sinon par la teneur de l’inscription. Celle reproduite dans VALLIÈRE, P. de, 1940, pl. xi, p. 445, et légendée «d’après un portrait appartenant à la famille de Courten, à Sion» porte une inscription abrégée. Sur l’autre, illustrée dans Le Portrait valaisan, Genève 1957, p. 126, ne figurent ni armoiries ni inscription; le tableau appartenait alors à la collection de Carlo de Courten à Munich. Ces différentes versions, sans doute réalisées par le même Rabiato, témoignent de la pratique, fort répandue à l’époque, de commander certains portraits en plusieurs exemplaires de manière à pouvoir les distribuer aux différentes branches de la parenté. "Portrait posthume du comte Maurice de Courten”, in: Morand Marie Claude (dir.), Musée cantonal d'histoire Sion. Guide des collections, Sion: Editions des Musées cantonaux du Valais, 2003, pp. 218-222.