Sarah Gaffino, 1997 :
Alfred Grünwald (1929-1966), Die Geschwister, s. d., huile sur toile, 146,5 x 110 cm. Musée d'art du Valais, Sion. Achat à la Fondation Alfred Grünwald en 1992. Inv. BA 1829 Dès le début des années 1950, Alfred Grünwald peint dans un style expressionniste dont l'Autoportrait (1953) du Musée cantonal des beaux-arts est un bon exemple. Il est l'un des rares artistes figuratifs valaisans de sa génération, avec Leo Andenmatten (1922-1979) pendant les années cinquante, à travailler dans ce registre. Sa rencontre, à Paris, avec Henri Matisse (1869-1954) et Georges Rouault (1871-1958) surtout, l’a profondément marqué. Comme Rouault, Grünwald est un esprit religieux qui montre une affection particulière pour l’art du vitrail (1). De retour à Brigue en 1954, il se voue au portrait, fasciné par la profondeur que renferment les êtres humains derrière une façade trompeuse (2). Die Geschwister (frère et sœurs) est un témoignage de la communication empathique du peintre avec ses modèles. La raideur silencieuse du jeune trio frappe au premier abord. Les visages burinés par la pâte, les cernes accusés sous les yeux au regard profond, et les corps frêles et anguleux donnent à ces enfants une allure d'adultes voire de vieillards. Cette impression est encore renforcée par le grand format de la toile, l'absence d'échelle et l'occupation de toute la hauteur de l'image par la fillette debout. Chaotiques et brisés, les visages sont expressifs malgré leur statisme presque effrayant. Aucun souffle ne semble pouvoir venir troubler le trio. Tout n'est qu'inquiétude sourde dans cet espace étroit où le peintre et le regard des enfants nous forcent à entrer. L'intrusion du peintre dans ce monde particulier se manifeste par le geste vif et spontané avec lequel il travaille. L'atmosphère et le traitement du tableau évoquent moins la peinture française contemporaine - à laquelle le tableau dans le tableau (un pont de Paris?) fait peut-être référence - que les œuvres d'Edvard Munch (1863-1944), d'Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) et d'Oskar Kokoschka (1886-1980). Grünwald a représenté ses modèles de manière frontale. Cette frontalité quelque peu austère et primitivisante contraste avec la liberté totale de la touche. Comme celle de Kirchner ou de Rouault, la touche de Grünwald est cinglante, saccadée (3). Avec l'éclairage "naïf" hérité des Fauves, ce chaos de lignes arrachées anime l’œuvre d’une énergie troublante qui lui donne sa cohésion. Une forêt de verticales rythme le bas de la toile, dans l’espace qui accueille les jambes serrées et immobiles des frères et sœurs. Dans la partie supérieure du tableau en revanche, l’horizontalité domine. Formes simples et gamme colorée discrète et pure se réunissent pour appuyer la monumentalité de l'œuvre. La force est donnée au contour, à la «précision et à la sûreté du présent (4) » qu'il s'agit de saisir, à ce trait dur et sec, mais expressif, auquel s’allie une esquisse d’ombrage pour donner quelque consistance physique aux personnages (5). Peinture et dessin se fondent, s’accordent pour donner vie à la construction. 1) Le vitrail a permis à Grünwald d’apprivoiser l’expérience religieuse et d’exprimer pleinement ses idées chrétiennes, des idées qui purent peu à peu s’exprimer aussi dans sa peinture. 2) Son opinion à propos de l’art du portrait est pourtant ambiguë: interrogé par un journaliste sur sa passion pour le portrait, Grünwald répond: «Einerseits gibt es ja nichts Hintergründigeres und Tieferes als das Antlitz des Menschen, anderseits ist es eine überaus heikle Angelegenheit, weil die Haltung des Kunden nirgends subjektiver ist und sein kann als gerade in der Porträtmalerei.» (Cité dans: Louis Carlen, 27 Walliser, Viège, Rotten, 1994, p. 116. Traduction libre: «D'une part, il n'y a rien de plus complexe et de plus profond que le visage humain, mais d'autre part c'est une entreprise difficile, parce que la pose du modèle n'est nulle part plus subjective). 3) L’artiste déclare: «[...] Mir ist viel lieber, wenn die Bilder lebendig und frisch wirken, als dass ihnen eine Art von Perfektionnismus anhaftet; darüber hinaus möchte ich sagen, dass eine spontane und skizzenhafte Malweise bei einer dekorativen Malerei geradezu notwendig ist [...].» (Cité dans: Louis Carlen, 27 Walliser, Viège: Rotten, 1994, p. 117. Traduction libre: «[...] je préfère les œuvres quand elles donnent l'impression d'être vivantes et fraîches, plutôt que lorsqu'elles restent attachées à une sorte de perfectionnisme; je dirais même à ce sujet qu'une manière de peindre spontanée et proche de l'esquisse est absolument nécessaire à la peinture décorative [...].»). 4) Propos d’Otto Dix sur sa propre peinture, cités dans: Otto Dix, éd. par Serge Sabarsky, Paris: Herscher, 1992, p. 20. 5) L’accent est mis sur la bidimensionalité, au détriment du volume. Le peintre modèle ses motifs dans des plans. Kirchner, avant les cubistes, traitait ses toiles en deux dimensions, et Rouault recherchait aussi la simplification des plans, pour l’affirmer ensuite à l’aide de la couleur in: “Alfred Grünwald, Die Geschwister, s.d.” dans Le Musée cantonal des beaux-arts de Sion, 1947-1997. Naissance et développement d'une collection publique en Valais: contextes et modèles, dir. par Pascal Griener et Pascal Ruedin, Sion: Musées cantonaux, 1997, p. 324-325.