Coffre domestique


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Charles Corinne et Veuillet Claude, 2012 :

Un meuble Renaissance aux formes gothiques encore prisées au XXe siècle? Difficile de dater stylistiquement un exemplaire aussi remanié. Construction Tous les éléments constitutifs du coffre sont monoxyles. La caisse est assemblée à fleur des pieds, à tenon bâtard et mortaise. Le tenon possède un seul arasement côté parement. Ces assemblages sont bloqués par des chevilles. Les côtés et le dos ont été amincis jusqu’à quelques centimètres au-dessus du fond pour alléger le coffre. Cette technique permet de conserver suffisamment de bois pour réaliser la rainure qui reçoit le fond. L’intérieur des pieds, sous la caisse, est aminci en biais (plus de 15 mm), c’est une particularité que l’on ne retrouve sur aucun autre coffre du corpus. Le dessus du couvercle est encadré par une moulure en applique assemblée à l’onglet; la faible épaisseur du couvercle (18 mm) et la piètre qualité du bois ont nécessité la pose de ce cadre. Plus de la moitié des éléments ont été remplacés. Nous ne pouvons pas affirmer que ce cadre date de la construction, des traces d’usage se poursuivent sous l’encadrement. Le couvercle s’articule à l’aide de deux pentures et ferme grâce à une serrure à bosse, elle n’est pas d’origine, le verrou à moraillon manque. Il faut toutefois signaler que ce mode de construction, avec des pentures fixées sous un encadrement, est déjà connu au XVe siècle, comme on peut le voir sur un dessin d’un atelier de menuiserie de Nuremberg datable de 1425 environ. Les remaniements du couvercle peuvent être intervenus peu de temps après la construction du meuble. Des interventions analogues sont attestées au XVe siècle, par exemple lorsqu’un maître de stalles doit effectuer une réparation sur la menuiserie d’un ouvrage, parfois avant même qu’il soit complètement fini (avant la pose de la polychromie), surtout dans les cas où des panneaux de bois vert ont été employés. Un casier suspendu à couvercle est installé sur le côté gauche, la face a disparu. Nous observons de fortes déformations dues à l’utilisation de bois vert: la face accuse un cintre de plusieurs centimètres, le fond est sorti des rainures, la caisse présente un important faux équerrage. Les six ferrures qui lient la face au fond et aux côtés ne sont pas d’origine; trois sont des réemplois, celle de la face, à droite, est une copie. Les clous sont hétérogènes (clous à ferrer et autres), et contrairement à la technique usuelle ils ne sont pas traversants. La dépose d’une ferrure n’a pas révélé de trace de clouage ancien. Décor Ce coffre est un exemple intéressant de meuble «enrichi» afin d’augmenter le prestige de la pièce, et évidemment son prix. Il a été acheté par le Musée en 1944 chez un antiquaire. La tromperie est confirmée par la lecture de la fiche d’inventaire, qui met en évidence les «six pentures en fer forgé et la belle serrure d’origine». A la jonction entre les pieds et les côtés, deux ferrures sont superposées, alors que deux autres consolident l’assemblage entre le fond et l’avant. Les six ferrures sont conçues comme un élément décoratif. En effet, elles ne sont pas indispensables vu le mode d’assemblage (déjà attesté au XIIIe siècle sur le coffre à l’inscription AVE MARIA (MV 81) , sans ferrures et ne sont effectivement ouvragées que sur leur partie visible en façade. Chacune d’elles est agrémentée de quatre ornements lenticulaires repoussés depuis le revers. Leur décor découpé et repercé de mouchettes dénote une réalisation soignée qui indique un contexte de fabrication plus citadin que montagnard. Sur la serrure à bosse, le moraillon manque. Le palâtre finement découpé est fixé par des clous à tête bombée et conique. Au XVe siècle, ce type de ferrures se trouve surtout sur des coffres germaniques, provenant autant de Westphalie que d’Allemagne du Sud. Il est possible que les ferrures et la serrure soient des réemplois provenant d’un coffre de tradition germanique. Le décor consiste principalement en éléments géométriques, isolés ou organisés en bordures d’encadrement. Le haut de la caisse est entaillé d’une suite de petits demi-cercles qui se recoupent. Cette frise se poursuit sur les pieds montants, agrémentée de petites croix. Une suite de chevrons, où s’intercalent les mêmes petites croix, souligne le pourtour des pieds (côté intérieur) et la base de la caisse. La serrure est flanquée de deux quadrilobes où s’inscrit une petite croix. En-dessous, deux petites lignes obliques se rejoignent comme un chevron, elles sont ponctuées par trois petites étoiles à six branches. Sur le pied gauche, on observe une grande croix grecque inscrite dans une couronne d’épines et sur le pied droit une même croix grecque (bordurée d’épines? ) inscrite dans un cercle. Ces éléments décoratifs ne sont pas d’origine, ils furent réalisés après la pose des ferrures et en fonction de leur disposition, à l’aide de fers frappés à chaud (marques à feu). Quant au couvercle, des exemplaires à encadrement de ce type sont attestés dès la deuxième moitié du XVe siècle sur des grands coffres sculptés du gothique tardif des régions alpines, en particulier de la Bavière, du Tyrol, d’Argovie ou des Grisons. On les trouve le plus souvent sur un mobilier coûteux, comme les coffres marquetés et sculptés de la région de Salzbourg. Contrairement à ces exemples, les pentures du couvercle passent ici sous l’encadrement. Quelques éléments de décor ponctuent le couvercle. Une frise continue d’ornements géométriques est frappée à chaud sur le chant, une petite croix et une fleurette sont entaillées sur le dessus, quelques rosaces au compas sont légèrement tracées. L’ une d’entre elles semble se poursuivre sous l’encadrement, ce qui confirme que le couvercle a été remanié après la construction du meuble. Le pied droit comporte en haut une marque domestique, frappée à chaud: trois traits horizontaux, coupés d’un trait vertical et ponctués de deux points. Deux initiales complètent la marque: un A (incomplet) à gauche et un W à droite. Cette marque correspond à celle d’Antoine Waldin: «marque de maison au tau de sable surmonté de deux burelles alésées du même». Antoine Waldin, fils de Maurice Waldin qui fut bourgmestre de Sion en 1540, était un notable réputé. Il fit construire en 1609 une maison à Sion, dont il reste une salle aux voûtes peintes de motifs héraldiques, datés de 1612. En 1615 et 1616, Antoine accéda à la charge de grand-bailli du Valais. La marque de maison primitive pourrait remonter à 1481, date de la réception à la bourgeoisie de Sion de la famille Waldin. Elle figure toujours sur les fresques du plafond de la maison Waldin. Les initiales A et W qui la complètent sur le coffre figurent également sur la clé de voûte aux armes Waldin-Kalbermatten écartelées, dans la maison Waldin. La marque a pu être apposée sur le meuble lors de son entrée dans la maisonnée d’Antoine Waldin. Le décor entaillé sous la serrure reproduit, hors blason et de façon schématisée, les armoiries des Montheis: «d’azur au chevron d’or accompagné de trois étoiles à cinq ou six rais du même». Au début du XVIe siècle, un ecclésiastique, Antoine de Montheys, était chanoine de Saint-Maurice, chapelain à Bagnes en 1496 et 1517-1521, recteur de Saint-Théodule à Monthey en 1503, curé de Notre-Dame-sous-le-Bourg à Saint-Maurice en 1517 et encore attesté en 1525. Il se pourrait qu’il ait commandé ce coffre, qui serait arrivé à Sion au siècle suivant par vente, héritage ou mariage. Les armoiries semblent toutefois avoir été réalisées en même temps que le reste du décor, peut-être après 1900. Dans ce cas, pourquoi avoir choisi les armoiries des Montheis, famille qui était éteinte au début du XXe siècle ? Ou justement, était-ce parce qu’il n’y avait plus de descendants Montheis qui auraient pu contester l’authenticité de ce décor? Il est difficile de répondre. Tout cela rend problématique la datation de ce meuble, qui fut acheté chez un antiquaire. Il pourrait s’agir d’un coffre valaisan du XVIe siècle, toujours construit dans la tradition médiévale, mais de moindre qualité par rapport aux grands coffres du Chapitre. La serrure et les ferrures, quoiqu’elles ne soient pas d’origine, possèdent des caractéristiques stylistiques datables de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Dans le corpus du Musée d’histoire, ce coffre marquerait la transition entre le gothique tardif et la Renaissance, tout en attestant la survivance au XXe siècle du goût pour ces formes héritées du Moyen Age. "Coffre à décor de croix", in: Marie Claude Morand (sous la dir.), Coffres et coffrets du Moyen Age dans les collections du Musée d’histoire du Valais, Valère, Art & Histoire 3, Ed. hier+jetzt et Musées cantonaux du Valais, Baden/Sion, 2012, vol.2, pp. 138-141.