Elisa de Halleux, 2022 :
Giovanni Giacometti (1868 - 1933), Garçons au bain, 1918-1920, huile sur carton, 35 x 40,8 cm. Musée d’art du Valais, Sion. Dépôt de la Collection Werner Coninx en 2020. Inv. BA 3544 Cette huile sur carton, dépôt de la Fondation Werner Coninx, a été réalisée par Giovanni Giacometti vers 1918-1920, à un moment où le peintre, qui a atteint une notoriété importante, possède une pleine maîtrise de son art. Plusieurs traits récurrents dans la peinture de Giacometti apparaissent aussi bien dans le style que le sujet de cette œuvre. La sensibilité du peintre à la couleur, son goût pour l’expérimentation en ce domaine et son talent pour les chromatismes puissants s’y expriment dans des tons vifs et contrastés, librement et harmonieusement associés. L’agilité de la touche, rapide et légère, vibrante, rappelle l’intérêt de l’artiste pour l’impressionnisme et le post-impressionnisme. On notera que cette touche est ici plus déliée et plus lâche que dans des peintures antérieures, davantage liées au pointillisme, avec une distribution de petites touches les unes à côté des autres sur la toile. L’eau, l’herbe et les corps sont ici esquissés, avec souplesse, dans un même élan. L’œuvre traduit bien, par ailleurs, l’intérêt du peintre pour les paysages et les scènes en plein air. Giovanni Giacometti travaillait, autant que possible, à l’air libre. Le val Bregaglia, les alentours du village de Stampa où il est né, sa femme et ses enfants, forment le cœur de son univers pictural. « Ici, dans le cercle étroit de nos montagnes, mon art trouva l’inspiration et la nourriture de toute une vie. Je bénéficiais d’une vie de famille heureuse […]. Mes enfants vivent dans mes tableaux, et ma biographie est inscrite sur mes toiles », peut-on lire sous sa plume (1). Il pourrait s’agir, dans cette huile, de ses fils Diego et Alberto, alors à la fin de l’adolescence, et que l’on trouve représentés au bord de l’eau dans d’autres peintures de la même période. Le motif du bain, qui dans l’histoire de l’art fut surtout un prétexte à l’exaltation du nu féminin, est chez Giacometti régulièrement associé à l’enfance. Plusieurs de ses tableaux majeurs décrivent des enfants nus dans la nature, souvent au bord de l’eau, magnifiés par le soleil. L’adolescent assis, représenté à droite dans notre esquisse, rappelle par sa posture un jeune garçon portraituré dans une œuvre réaliste de jeunesse, Garçons à la plage de Torre del Greco (1893, Coire, Bündner Kunstmuseum). Cette même pose se rencontre encore, de face et non de dos cette fois, dans le célèbre triptyque I Figli della luce [Les Enfants du soleil], de 1913, qui lui associe également un garçon nu allongé, dont la posture est quant à elle similaire à celle de l’adolescent représenté à gauche dans notre œuvre. Le motif de la paire d’adolescents nus, l’un assis, l’autre couché, est familier à Giacometti, qui le décline également dans plusieurs estampes (I Figli della luce [Les Enfants du soleil], 1913, Bâle, Kunstmuseum, Kupferstichkabinett). L’harmonie entre les deux personnages affleure de manière détournée, non dans leurs expressions ou leur interaction, mais à travers la disposition spatiale des corps et les jeux de parallèles et d’échos qui se tissent entre eux. Cette œuvre chante la beauté et la douceur d’une vie paisible, colorée de joies simples. (1) Giovanni Giacometti, Cuno Amiet, Zurich, Monatsschrift der Galerie Aktuaryus (Zürich), novembre 1940, p. 198.