Jaques Berger (1902 - 1977, peintre, dessinateur, lithographe)
Composition abstraite 2


Picture

Antonia Nessi, 2010 :

Jaques Berger (1902-1977), Peinture, 1973, peinture à la colle sur carton, 19.4 x 25.5 cm. Musée d’art du Valais, Sion. Donation Line et Jean-Philippe Racine, 2008. Inv. BA 2969 Inspiré des langages surréaliste et cubiste, fluctuant entre abstraction et figuration, l’œuvre de Jaques Berger accueille les opposés et se montre réfractaire aux frontières trop définies. Les années 1970 constituent une ultime période, très féconde dans la production artistique de Berger, marquée par la pratique de la lithographie, qui insuffle une nouvelle souplesse à sa peinture. Protagoniste de ce petit tableau de la Donation Racine, l’organisation des formes en plans successifs révèle la centralité de la notion d’espace dans la recherche de l’artiste. Cette spatialité, sensuelle, se traduit par la tentative de rendre l’idée de profondeur grâce aux passages subtils entre les couleurs, à leurs dialogues et à leurs confrontations. Ainsi, alors que le signe totémique rose-bordeaux assume un caractère exubérant et dominant le devant de la composition, les tonalités sourdes des gris bleutés et des blancs, telles des présences calfeutrées, paraissent être beaucoup plus éloignées dans l’espace. L’effet de profondeur produit par la superposition des couches picturales est aussi obtenu grâce aux vides, à l’ouverture des formes, qui laissent entrevoir un « au-delà », une possibilité de fuite à l’arrière-plan. Cette construction de l’espace n’a pourtant rien de prémédité ou de rationnel : il s’agit d’un « jeu de formes », où toutes les conditions ont été réunies afin de provoquer l’immédiateté et le hasard. La peinture à la colle, qui, comme la lithographie, permet la rapidité d’exécution, la possibilité de tout effacer et de tout reprendre, semble avoir joué un rôle capital dans cette quête de l’instant. Sa souplesse aurait en quelque sorte libéré l’artiste du poids et des contraintes dictées par l’aspect technique, et encouragé une insouciance propice à déclencher l’automatisme du geste et l’aventure de la création. A l’opposé du fignolage et du travail artisanal, nous percevons toute la genèse et la vie de la peinture, ses hésitations et ses regrets, dans les marques visibles du pinceau, les griffures, les grumeaux des couleurs en poudre, les craquelures et les effacements. L’animation de la surface picturale ne rime cependant pas avec la vitalité sauvage de l’action painting ou du tachisme. Il s’agit plutôt d’une vie discrète, retenue, comme la matité de ses couleurs, douée d’un archaïsme qui évoque une ligne antique, notamment la tradition méditerranéenne des fresques et des peintures rupestres. Cette peinture magmatique qui, au lieu de gommer et de lisser, n’a pas peur de montrer ses cicatrices, trouve un répondant dans l’intérêt de l’artiste pour les vieux murs et les mousses, pour le temps qui laisse une patine sur les choses et les humanise. « Je ne cherche pas, je ne trouve pas, je fais, refais et refais encore » disait Jaques Berger (55). Dans sa tentative récurrente de traduire l’espace, l’artiste a fait son credo de la démarche et du parcours, non de l’aboutissement. La considération de l’œuvre dans sa matérialité, comme étant un objet malléable, en perpétuelle transformation, sous-tend le sens de notre tableau et se lit dans un choix curieux et révélateur, qui déroute au premier abord : comme s’il avait voulu abolir les limites de la composition, l’artiste aurait peint le passe-partout et le cadre d’un même blanc mat en créant une sensation de trompe-l’œil. Pour signifier probablement que l’espace est ouvert et que la recherche continue. 55) Cité par Philippe Junod, « En guise de postface », dans : Jaques Berger. Aspects de l’œuvre tardif : 1969-1977, Le Mont-sur-Lausanne : Marendaz, 1982, p. 104 in: “Jacques Berger, Peinture, 1973” dans Donation Line et Jean-Philippe Racine au Musée d’art du Valais, dir.: Pascal Ruedin, Sion: Musée d’art, 2010, pp. 60-61, cat. no. 29.