Martina Gmür (1979, peintre, dessinatrice et performance)
La vue depuis là-haut / Die Aussicht von dort oben


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Samantha Formaz, 2020 :

Martina Gmür (*1979), La Vue depuis là-haut, 2013, encre sur papier Japon, 140 x 210 cm, Musée d’art du Valais, Sion, inv. BA 3328, achat en 2013 Un paysage montagneux découpé en triptyque est suspendu à une barre horizontale rouge. Sur le papier Japon réputé pour sa finesse et sa résistance, se présente au premier plan des broussailles et des herbes folles noires à contre-jour. Au second plan, les montagnes s’imposent et dissimulent quelques autres sommets qui se devinent au troisième et au quatrième plan. Un ciel blanc immatériel habite le reste de la représentation. L’œuvre, intitulée La Vue depuis là-haut, a été produite en 2013 lors d’une résidence de l’artiste en Chine. Gmür a été invitée par le Manoir de la Ville de Martigny à participer à l’échange culturel mis en place avec le Henan Art Museum. Martina Gmür est donc partie en résidence avec quatre autres artistes suisses en direction des monts Taihang (province d’Hebei). Là-bas, comme dans la culture suisse, la montagne est riche de symboles. Elle peut incarner tour à tour la puissance divine, le lien entre la terre et le ciel, la spiritualité, le sentiment du sublime, etc. La Vue depuis là-haut demeure comme inachevée, puisqu’elle laisse apparaître le papier japon vierge au-dessous de la végétation noire et au-dessus des montagnes. Le vide pictural est une composante essentielle dans l’œuvre Gmür qui aime laisser les spectateurs libres d’imaginer le reste du panorama. L’artiste témoigne : « […] ça m’intéresse de laisser des parties vides où l’on voit le blanc du fond de la peinture […]. Un trait peut tout dire, on peut tout montrer ainsi. Et dès qu’on fait plus, on ne fait qu’enlever » (1), c’est donc au « spectateur […] [de] fini[r] l’image » (2) pour la rendre « plus fort[e] » (3). Cette démarche permet également à l’artiste de « trouver ou d’emmener de la profondeur à travers le vide » (4). En cela, elle se rapproche du peintre belge Luc Tuymans dont les œuvres sont également structurées grâce à l’espace apictural : « Quand je vois [chez Tuymans] […] l’importance du vide laissé autour du dessin, j’ai l’impression de pouvoir y entrer, cet espace représente une tension, c’est comme une ouverture, une zone de liberté pour celui qui regarde » (5). Par ailleurs, cette œuvre se réclame de la tradition chinoise par sa technique autant que par son contenu : la précision du geste (6) avec lequel le pinceau est manié évoque la tradition calligraphique asiatique ; le découpage de l’œuvre peut renvoyer à un noren (7) japonais. Quant au paysage montagneux, il est pris dans une atmosphère flottante, il se suffit à lui-même et il invite ses spectateurs à l’introspection et à la méditation bouddhique. L’œuvre de Martina Gmür nous entraîne ainsi dans la contemplation d’un paysage montagneux chinois au moment précis et fugace où le vent vient balayer ce dernier ainsi que notre visage. 1) Martina Gmür, interview vidéo Martina Gmür exposition Bitmap à Saint-Louis avril 2010 sur Saint-Louis TV, https://www.youtube.com/watch?v=kyrO9j63ULs (de 2’00’’ à 2’20’’, consulté le 16 septembre 2020). 2) Interview de Martina Gmür par Françoise Jaunin, « Les corps flottants de Martina Gmür », in : 24 heures, le 15 décembre 2007, p. 40. 3) Interview de Martina Gmür par Yao Koffi, « Corps en suspension, corps en transcendance », in Suite cognitive : Martina Gmür, Sion, Musée d’art du Valais, 2007, p. 21. 4) Ibid., p. 22. 5) Interview de Martina Gmür par Koffi Yao, op. cit., p. 22. Voir aussi Meyer-Hermann Eva et Tuymans Luc, Luc Tuymans : catalogue raisonne of paintings, New York, David Zwirner Books, 2017. 6) « Plus que la ligne, ce qui m’intéresse c’est la trace du pinceau. Mais aussi de saisir le geste juste. […] Je m’attache à rendre un état atmosphérique, un état de perception ». Martina Gmür et Véronique Ribordy, « Attention peinture fraîche ! », in Nouvelliste, n° 238, 2007, p. 33. 7) Les noren sont des rideaux japonais qui se mettent dans l’embrasure d’une porte pour remplacer celle-ci. Ces rideaux fendus en leur centre recouvrent uniquement le haut de l’entrée et comportent souvent des motifs végétaux ou géométriques.