Zoran Music (1909 - 2005, peintre, graveur)
Paysage siennois / Sienesische Landschaft


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Antonia Nessi, 2010 :

Zoran Music (1909-2005), Paysage siennois, 1952, aquarelle et gouache sur papier, 35 x 50 cm, Musée d’art du Valais, Sion, Donation Line et Jean-Philippe Racine, inv. BA 2994, achat à la Galerie Ditesheim à Neuchâtel en 1981 Zoran Music se fraie un chemin artistique solitaire, sourd aux appels de l’abstraction et aux idéologies dominantes de l’après-guerre, marqué à jamais par l’histoire personnelle. De retour du camp de concentration de Dachau, il exécute une série de toiles et de dessins lumineux, étrangement sereins : ce sont, pour la plupart, des vues d’Ombrie et de Venise, ville où il décide d’ailleurs de s’installer, ainsi que des paysages dalmates, souvenirs de son enfance. Les collines de notre Paysage siennois, campées dans une plaine désertique dépourvue de végétation et de présence humaine, évoquent de façon syncrétique les fonds paysagers de la peinture du Quattrocento, les images intemporelles de Massimo Campigli et de Giorgio Morandi, le calme bidimensionnel et sans volume des sujets byzantins. Des collines précieuses et fragiles comme des bijoux ou des coquillages, tachetées de petits points, aux couleurs estompées bleu lavande, noir, gris, rose, terre. L’agencement des tonalités délicates à l’aquarelle, dont émane une lumière, le rôle actif joué par le blanc du papier, l’absence de matière et d’ombres, font de ce paysage une vision plus qu’une réalité terrienne. Cette perception est amplifiée par le fond ivoire et par le cadre dessiné, à peine suggéré de touches légères, qui semblent suspendre l’image dans un espace « autre », séparé du réel. Le paysage des collines de Sienne, hors du temps et universel, est à entendre comme un mémorial intime, où, avec la terre, se seraient également sédimentés les souvenirs les plus profonds de l’artiste. Ces collines, si elles nous parlent de l’enfance de Music et des reliefs du Karst, d’une vie d’errance imprégnée de culture « mittel-européenne », entre Orient et Occident, évoquent aussi le souvenir de la mort. En effet, malgré son calme et son apparente sérénité, ce paysage possède, selon les dires de l’artiste, une signification précise. La vue des alentours de Sienne serait à l’origine d’une émotion violente, source d’une association révélatrice et éclairage insoupçonné d’un thème central de l’œuvre de Music, auquel il va travailler dès les années 1970 dans le cycle Nous ne sommes pas les derniers : « Ces collines sont dépourvues de végétation ; elles sont recouvertes d’une terre presque blanche, comme une peau avec des striures, des ravines creusées par la pluie, qui font penser à des côtes, à des corps humains. C’est un paysage qui ne change pas, qui n’est pas modifié par les saisons. Et plus tard, au moment de les peindre, je me suis rendu compte que ces collines blanchâtres me rappelaient les monceaux de cadavres parmi lesquels j’avais vécu à Dachau » (30). L’image des collines érodées et leur similitude avec les cadavres de Dachau n’a pourtant rien de macabre. Elle résume la poétique de Music, dépouillée de rhétorique et de superflu, silencieuse et douce, tout en annonçant la puissance des œuvres futures. 30) Entretien de l’artiste avec Michael Peppiatt, dans : Zoran Music. Œuvres de 1947 à 2001, cat. exp., Galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, Genève, 2001, p. 80 in: “Zoran Music, Paysage siennois, 1952” dans Donation Line et Jean-Philippe Racine au Musée d’art du Valais, dir.: Pascal Ruedin, Sion: Musée d’art, 2010, pp. 46-47, cat. no. 21.