Corinne Charles et Claude Veuillet, 2012 :
Un coffre-fort de provenance haut-valaisanne, dont un exemplaire proche est conservé à Zurich. Construction Tous les éléments constitutifs du coffre sont monoxyles. La caisse est assemblée à fleur des pieds, à tenon bâtard et mortaise. Le tenon possède un seul arasement côté parement. Ces assemblages ne sont pas bloqués par des chevilles, comme c’est le cas pour tous les coffres de cette collection, mais maintenus par quatre ferrures horizontales interrompues. Le fond est en rainure, il est renforcé par une ferrure repliée sur la face et le dos. Le couvercle, en mauvais état de conservation, s’articulait à l’aide de deux pentures et fermait grâce à une serrure à bosse. Après la disparition de cette dernière, une serrure encastrée a été installée. Ces ferrements ont disparu mais ils ont laissé des empreintes parfaitement lisibles sur la surface du bois. Un casier à couvercle est ménagé sur le côté droit. La face est assemblée en rainure, le couvercle manque, il s’articulait à l’aide de gonds en bois. Un double fond (perdu) fixé sur deux traverses était accessible par le coulissement vers le haut de la face. C’est l’unique “casier à secret” du corpus. Vu de côté, ce coffre a la forme d’un trapèze rectangle. La face présente un angle d’inclinaison de 85°. Cette particularité ne se retrouve sur aucun autre coffre de la collection. Ce mode de construction se rencontre fréquemment sur les coffres germaniques et scandinaves qui peuvent avoir l’aspect d’une pyramide tronquée, chaque face ayant la forme d’un trapèze isocèle. Le fait que les assemblages ne soient pas chevillés est simplement une anomalie et non un mode constructif original ou primitif. Si les ferrures solidarisent effectivement les assemblages, ce n’est pas leur rôle premier dans le cas présent. Elles sont avant tout une protection contre l’effraction. Ouvrons une petite porte au rêve et imaginons que l’artisan a simplement oublié de cheviller les assemblages et a livré le coffre démonté au forgeron. Après la mise en place des ferrures, le tout a été considéré comme parfaitement solidaire et le chevillage inutile, comme on peut encore le constater sept siècles plus tard ! Décor L’intention décorative se manifeste dans les ferrures fleurdelisées clouées en façade. Le couvercle a certes perdu ses trois pentures, mais on distingue encore nettement à la surface du bois les traces d’oxydation qu’elles ont laissées, qui sont de la même forme que les ferrures fixées sur l’avant. A l’origine, toutes ces ferrures aux extrémités en fleurs de lys devaient former un bel ensemble décoratif. L’ emploi de ferrures pour solidariser le bâti d’un meuble est une caractéristique archaïsante pour le mobilier de la fin du Moyen Age. Sans avoir recours à des exemples extérieurs à cette étude, nous voyons que déjà aux XIe ou XIIIe siècles, les techniques de travail du bois étaient suffisamment développées pour permettre un bâti solide sans le munir de ferrures. En outre le fer était un matériau coûteux, qu’on n’hésitait pas à enlever d’un meuble mis au rebut pour le réemployer sur un autre. Cette adjonction des ferrures s’explique probablement par la fonction du meuble, sans doute destiné à contenir de l’argent ou des pièces d’orfèvrerie. Le décor vient également du chantournement des pieds avant: un rouleau à petite protubérance est inscrit dans un demi-cercle sur les pieds-montants. Cette forme de chantournement est attestée dès la fin du XIIIe siècle en Valais (voir coffre MV 8691). Elle continue d’être employée comme seul décor de certains coffres d’Allemagne du Nord du XIVe siècle, et évolue vers des lignes plus complexes au XVe siècle en Valais (coffres Saint-Sébastien et à décor de festons et rouleaux, MV 3612, MV 8701 et MV 8692). En outre, la mise en place de ferrures cerclant le pourtour de la caisse dans un but de meilleure protection est présente à Valère sur le coffre de l’église, daté du début du XIVe siècle (MV 8695). Sur la base de tous ces éléments, nous pouvons dater le meuble du XIVe siècle. Un coffre conservé au Musée national à Zurich montre des caractéristiques particulièrement proches du meuble de cette notice. Egalement du type à larges pieds-montants en façade et à éléments constitutifs taillés dans une planche d’un seul tenant (avant, pieds, côtés, arrière, couvercle – fendu au milieu – et fond), le meuble de Zurich est en arolle, l’autre essence la plus communément utilisée au Moyen Age en Valais, outre le noyer des grands coffres romans. Il est cerclé de la même manière sur tout son pourtour de ferrures clouées, dont les extrémités se terminent également par des fleurs de lys stylisées. Walter Trachsler en conclut qu’il devait servir de coffre-fort, en s’appuyant en outre sur la présence de gros clous à tête ronde, qui pourraient être ce qui subsiste d’une ancienne armature de plaques de fer. Usage et destination Le meuble de Zurich provient de Brigue, anciennement propriété des Stockalper, le nôtre de Baltschieder. Ainsi, outre la fonction de coffre-fort qui serait similaire, la provenance haut-valaisanne serait la même dans les deux cas. Notre coffre fermait par une seule serrure, située au centre de la caisse dans le seul emplacement laissé libre par les ferrures. Elle fut remplacée par une serrure d’un autre type, également perdue. Il peut s’agir d’une modification ancienne dans l’histoire du coffre: il n’est pas rare de lire dans certains inventaires de la fin du Moyen Age que des clés de coffres sont perdues, que leurs serrures sont forcées ou qu’on doit fabriquer de nouvelles serrures pour d’anciens coffres. "Coffre aux ferrures fleurdelisées", in: Marie Claude Morand (sous la dir.), Coffres et coffrets du Moyen Age dans les collections du Musée d’histoire du Valais, Valère, Art & Histoire 3, Ed. hier+jetzt et Musées cantonaux du Valais, Baden/Sion, 2012, vol.2, pp. 100-103.