Relief / le Jugement de sainte Catherine


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Golay Laurent , 2003 :

Les deux panneaux [MV 161, MV 162] – éléments d’une seule et même œuvre disparue – sont mentionnés dans un inventaire de la fin du XIXe siècle relatif au mobilier de la famille Ritz à Selkingen. Quelques années plus tard, ils sont acquis par le Musée. Le Jugement de Sainte Catherine [MV 161] Dans le premier panneau, six personnages entourent Catherine, dont les poignets sont liés par une corde que tient le bourreau. Celui-ci se distingue par sa chevelure crépue, faite de petites entailles en forme de triangle, et sa peau de lion, dont la gueule anthropomorphe est représentée sur son épaule droite. Catherine, Virgo capitalis («la principale Vierge») est couronnée; elle porte un pendentif suspendu à une chaîne à grosses boucles, d’un modèle très répandu dans l’art septentrional du début du XVIe siècle. Vêtue d’une riche robe aux manches bouffantes, dont les plis retombent de part et d’autre de la saillie de sa jambe droite, légèrement fléchie, elle regarde l’empereur avec une expression calme, presque résignée, comme si sa fin tragique lui était déjà connue. Son attitude contraste avec celle des cinq personnages qui l’entourent et souligne sa place centrale dans la composition. A l’extrême gauche se trouve un soldat vêtu d’un pourpoint en treillis et coiffé d’un casque. A gauche de Catherine se tient un autre soldat, puis l’empereur, assis sur son trône. Barbu, il est vêtu d’un cafetan retombant en de profonds plis droits et réguliers, et coiffé d’un turban. Il porte un collier identique à celui de la sainte. Le second plan est divisé en un fragment de décor architectural et un paysage, le décor «localisant» la scène – le palais de l’empereur –, dont la profondeur est accentuée par l’effet de perspective donné par le mur. Le panneau représente l’épisode pendant lequel, selon la Légende dorée, l’empereur, de retour de voyage, fit sortir la fille de Costus de la prison où il l’avait faite enfermer, lui proposa de l’épouser et, devant le refus essuyé, la somma de choisir entre les idoles et le Christ. Refusant de sacrifier aux premières, elle sera condamnée au supplice de la roue. (Voragine, J. de, La Légende dorée, vol. 2, Paris, 1967, pp. 390–391). Si on rencontre fréquemment dans l’iconographie de la sainte des représentations de la Disputatio, de la Décollation ou du Martyre, les scènes du Jugement sont beaucoup plus rares. Le panneau reprend le schéma iconographique de Jésus devant Caïphe (ou Pilate), voire d’épisodes similaires propres à nombre de récits hagiographiques. Le Martyre de Sainte Catherine [MV 162] Le second panneau représente l’épisode succédant directement au Jugement. Les deux étapes de la passion de Catherine y sont réunis en une seule scène: la roue du supplice achève de se consumer, détruite par la foudre, alors que la sainte est agenouillée, les mains jointes en prière, tandis que le bourreau, l’épée levée, s’apprête à frapper. On retrouve l’empereur au second plan ainsi que trois soldats et un petit personnage fuyant le cataclysme. Une huitième figure, dont on ne voit que le visage entre les jambes du bourreau, est à terre, victime du feu et des pierres. Agençant sa composition de manière différente, le sculpteur a pu ici représenter intégralement la couronne de Catherine, travail admirable de finesse et de délicatesse. Cette attention pour le détail est aussi remarquable dans certaines pièces de vêtements, notamment les pourpoints des soldats (en écailles ou en treillis), la bordure dentelée du décolleté de la sainte, et la bordure de sa couronne. De la même manière, les dents et les cheveux sont travaillés avec beaucoup de réalisme. La plupart des surfaces ont été sculptées et polies de façon à ce que le jeu de la lumière et des ombres offre un effet de modelé et de plasticité étonnants, en particulier sur les visages, tous fortement creusés, à l’exception de la face lisse, régulière, virginale de Catherine, qui contraste avec les faces grimaçantes et déformées des autres figurants, celle du bourreau surtout, dont l’anatomie vibre dans le jeu de la lumière. Même ses mains liées semblent participer de cette sérénité et n’être là que pour mieux mettre en évidence la nerveuse brutalité des membres arachnéens du tortionnaire. Les positions respectives des mains des trois principaux acteurs va d’ailleurs au-delà de leur situation narrative: elles signifient un moment psychologique très précis. L’empereur, la main levée devant lui, semble vouloir prendre celles, pendantes et fermées de la fille de Costus («Nous ne désirons pas te traiter en esclave, mais en reine puissante et belle, qui triomphera dans mon empire»). Mais son désir se heurte à la foi de la femme aux mains jointes en prière, et le geste de Maximien trahit son impuissance. Le bourreau, la main droite sur l’épaule de Catherine et la gauche tenant la corde, est lui pressé de l’emmener au martyre. Tout se passe comme si le sculpteur avait voulu représenter l’instant précis où Maximien, ayant essuyé le refus de Catherine, la condamne au supplice de la roue. C’est dans des cycles hagiographiques ou de la vie du Christ qu’il faut rechercher un modèle pour cette rare scène de Catherine devant Maximien. Le Christ devant Caïphe de Martin Schongauer (vers 1475–1480) apparaît ainsi comme un jalon important: autour du Christ entravé, la foule répond à Caïphe, assis de profil, les jambes croisées. Plus près des reliefs de Sion, L’Arrestation de saint Castulus, de Leinberger, offre une iconographie certainement redevable à la composition de Schongauer. Tout se passe comme si l’œuvre de Leinberger avait pu représenter un modèle pour l’auteur des reliefs de Sion. Cependant, la technique comme le style les différencient des panneaux de Moosburg. Le Christ devant Caïphe, relief attribué au sculpteur Michael Tichter (1515 env.), offre une solution iconographique encore plus proche de celle du panneau de Sion. Antérieur d’une dizaine d’années, il a certainement pu constituer – peut-être via une gravure – un modèle pour l’auteur des reliefs de Sion. Nombre de peintures et de reliefs sculptés du début du XVIe siècle représentant le Martyre de sainte Catherine s’inspirent plus ou moins directement de la gravure homonyme de Dürer (1497–1498). D’un point de vue narratif et compositionnel, cette scène permet la représentation simultanée du supplice de la roue – qui suscite le châtiment divin – et de la décollation. Si Dürer a choisi de montrer le bourreau en train de dégainer son épée, d’autres l’ont figuré l’épée levée. Dans tous les cas, le feu ajoute au dramatique de la Décapitation. Le groupe bourreau-victime forme comme une scène superposée qui contraste fortement avec le massacre alentour, mais riche d’une tension encore supérieure. C’est bien le but recherché par les artistes et qu’a magnifiquement su rendre Dürer: la décollation – imminente – comme paroxysme d’un drame dont Catherine, agenouillée, les mains jointes, bien que prête au supplice, est annoncée victorieuse. Dans le relief de Sion, le sculpteur a choisi de fusionner les deux scènes, chronologiquement distinctes dans le texte de la Légende dorée. Bien que conservés en Valais et bien qu’ayant apparemment appartenu à une famille de ce canton, rien ne permet de rattacher ces œuvres à la production artistique valaisanne du XVIe siècle. Certains éléments permettent en revanche de supposer qu’ils soient l’œuvre d’un artiste familier de l’environnement artistique viennois du début du XVIe siècle. C’est en effet – outre du relief de Tichter – de deux reliefs du Musée diocésain de Vienne que pourront être établis les rapprochements les plus fructueux. Trois fragments d’un relief représentant le Christ au Mont-des-Oliviers, Judas guidant les soldats et l’Arrestation du Christ, proviennent de la façade extérieure du chœur sud de la cathédrale Saint-Etienne, où ils surmontaient le Portement de croix «Hutstocker», du nom du donateur mort en 1523. Les fragments conservés ne sont pas de la même main que l’artiste désigné sous le nom de «Maître du Portement de croix Hutstocker», mais redevables à un aide plus jeune et s’exprimant sur un mode plus énergique. Les scènes du Portement de croix «Hutstocker» s’étalent à l’horizontale en séquences narratives, alors que les reliefs de Sion présentent une seule scène par panneau, plus resserrée dans son cadre étroit. Le sculpteur s’est en revanche attaché à intégrer les figures dans le paysage, leur insufflant pour cela un mouvement, une dynamique qui rejoignent ceux du décor. Comme dans les deux panneaux de Sion, la scène de l’Arrestation du Christ montre, encadrant la scène principale, un rang de protagonistes-spectateurs aux visages grimaçants, aux physionomies très typées. La sérénité et la douleur mêlées confèrent à l’ensemble un pathétisme étonnant. Un autre relief du Musée de Vienne, la Décollation de saint Maurice, se prête particulièrement bien à une comparaison avec les panneaux du Musée cantonal d’histoire. Sculpté en haut-relief, en une composition à plans multiples surmontée d’un décor renaissant de végétaux en guirlandes, il est pourvu d’un cadre aux montants ornés de frises décoratives. Les ressemblances avec les reliefs de Sion sont ici encore plus frappantes. Il suffit pour s’en convaincre de confronter les figures du bourreau de saint Maurice et du soldat qui, devant Maximien, tient Catherine par l’épaule. Dans ces deux œuvres «viennoises», comme dans les deux reliefs de Sion, prédomine un sentiment d’horror vacui sans pour autant que la surface des panneaux présente les incroyables mouvements et le foisonnement propres, par exemple, aux sculptures du Maître «HL» ou de son entourage. Le style des reliefs de Vienne et de Sion rappelle en outre certains éléments d’une frange de la production artistique du Haut-Rhin. On peut identifier dans le Mont-des-Oliviers de la cathédrale de Strasbourg, unanimement attribué à Veit Wagner et à son atelier (pour les figures des soldats), des éléments proches de ceux des reliefs viennois et de Sion: l’opposition de caractères entre les groupes de figures, grandioses et dignes pour les uns, pittoresques et caricaturales pour les autres. Mais rien de plus ne peut être avancé en faveur d’un rapprochement avec cette œuvre antérieure d’environ deux décennies. Les reliefs du Musée de Sion ne semblent en outre pas pouvoir être rattachés aisément à l’Ecole du Danube, aux origines viennoises, dont la production est plus riche d’éléments fantastiques, privilégiant la courbe – humaine, végétale – et dont le foisonnement baroquisant culminera dans sa branche souabe notamment. Les deux panneaux se trouvaient à la fin du XIXe siècle dans la maison d’une famille d’artistes haut-valaisans dont certains membres exercèrent, dès le XVIIe siècle, le métier de sculpteur. On ignore à quelle date ces reliefs sont entrés en leur possession. Mais le peintre Lorenz Ritz, né en 1796 et mort à Sion en 1870, fréquenta, lors de sa période de formation, l’Académie de peinture de Vienne. Il est en outre le père de Raphaël Ritz, peintre et membre de la Commission du Musée archéologique cantonal au moment de l’achat de ces deux reliefs. Il est dès lors tentant de supposer qu’il ait ramené ces panneaux de son séjour autrichien, d’autant que la date de sa mort précède de dix-huit années la vente des reliefs au Musée cantonal d’histoire, alors dénommé Musée archéologique cantonal. Les similitudes entre les panneaux «valaisans» et les œuvres viennoises examinées ici semblent pouvoir appuyer cette séduisante hypothèse. Le Portement de croix «Hutstocker» était daté de 1523, date encore lisible avant 1945. Le relief représentant la Décollation de saint Maurice semble être redevable à une production contemporaine, peut-être même à un artiste commun. Le relief de Michel Tichter représentant le Christ devant Caïphe était déjà réalisé depuis une dizaine d’années environ, donc certainement «visible» pour le sculpteur des panneaux de Sion. L’existence de ces trois œuvres, les incontestables similitudes – iconographiques ou stylistiques – qu’ils présentent avec les reliefs de Sion, incitent à supposer que ceux-ci ont dû être sculptés par un artiste profondément familier de la production artistique viennoise de cette période. "Panneaux du jugement et du martyre de sainte Catherine”, in: Morand Marie Claude (dir.), Musée cantonal d'histoire Sion. Guide des collections, Sion: Editions des Musées cantonaux du Valais, 2003, pp. 138-146.