Antonietti Thomas, 2003 :
La planche à marques domestiques d’Ayent est munie au dos d’une étiquette collée, manuscrite, apposée par le collectionneur. Elle répertorie les familles Aymon, Beney, Blanc, Crettaz, Constantin, Savioz, Dussez, Morard, Delétroz, Bétrisey, Gaudin et Moss, de la commune d’Ayent, ainsi que les prénoms. C’est une simple planche de bois mince portant des marques domestiques incisées, des prénoms et patronymes inscrits à la mine de plomb. Les noms sont inscrits en colonne, les nonante-deux foyers étant groupés sous quinze patronymes. Pour les six premiers ménages est ajouté à chaque nom le nombre de droits d’alpage. Cette planche est une sorte de registre des ménages de la commune d’Ayent à un moment donné. La planche à marques domestiques a été vendue en 1913 par Théodule Constantin à Max Gmür, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Berne. Dans l’organisation préindustrielle des villages, la planche à marques domestiques était d’une grande utilité. Elle pouvait revêtir différents aspects. Ainsi, en lieu et place d’une planche de bois, on utilisait parfois le parchemin ou le papier. De plus, il y avait aussi des bâtons à quatre arêtes, dans lesquels les marques domestiques étaient incisées les unes après les autres. D’autres étaient en forme de petites planchettes, les tachères, munies d’un trou et de la marque domestique. Le trou permettait de les suspendre, selon un ordre préétabli, en y passant une cordelette. Les marques domestiques figurant sur la planche servaient au contrôle des tachères, marques individuelles. Chaque nouveau ménage sollicitait une marque auprès du président de la commune. C’est au moyen de la planche à marques domestiques ou des tachères que le rang d’ordre est établi pour la répartition des droits communautaires ou pour les corvées. Les changements de droits pour un alpage ou pour le four banal, ainsi que l’ordre de la garde des chèvres ou des moutons, le règlement de la garde de nuit dans le village, les corvées communes, les offices du procureur de l’alpage, du porte-drapeau de la procession, du sacristain de la chapelle sont des exemples pour lesquels les tachères étaient utilisées. La marque domestique permet d’identifier un ménage, respectivement une famille (et non pas la maison, ni le propriétaire de la maison). Celui qui fondait un nouveau foyer se devait de solliciter sa marque domestique. Celle-ci était identique à la marque des parents uniquement si ces derniers étaient décédés. C’était donc souvent le fils cadet qui héritait de la marque domestique des parents. Les marques des frères et sœurs se distinguaient par de petits détails. Il existe plusieurs appellations pour les marques de famille: marques domestiques, marques de maison, armoiries, marque à bois, fer à bétail, marque de propriétaire. La marque consiste en général en une figure simple composée de traits et de points. Elle servait également à faire connaître à des tiers sa propriété. On les apposait sur le bois abattu, sur des bâtons de consortage ou sur des instruments, des objets utilitaires, etc. La marque était imprimée au fer rouge, à la hache ou incisée au couteau. Les marques domestiques jouaient un rôle important pour établir les tachères, dites «Tesseln» ou «Tesslen» dans le Haut-Valais et «taxures», «taillis», «tailles» ou «bâtonnets» dans le Valais romand. Bien que toujours en bois, elles pouvaient être de formes différentes: carrées, cylindriques ou plates. Il convient de citer aussi le bâton en bois utilisé comme marque domestique. Il présentait en général un nombre d’encoches de différentes grandeurs dont on pouvait déduire l’importance des droits, des obligations et des prestations individuelles. Les tachères jouaient un rôle particulièrement important dans l’attribution des droits privés, des droits de consortage et de biens d’exploitation collectifs. Les droits d’alpage indiquaient le nombre de têtes de bétail qu’une famille pouvait conduire à l’alpage. Sur certains bâtons (appelés taxures), était reporté la quantité de litres de lait produit durant l’estivage. Les bâtons de consortage de l’eau d’arrosage portaient plusieurs informations: les marques domestiques des consorts, leur tour de rôle pour l’arrosage et la durée du droit d’eau. Une incision profonde signifiait un temps d’eau de quatre heures, une demi-incision deux heures. Chaque ayant-droit à une conduite d’eau disposait d’une planchette indiquant en plus de sa marque domestique, le nombre d’heures d’exploitation. Les tachères avaient donc un caractère officiel. Elles servaient à régler les droits et les obligations, à contrôler les prestations obligatoires et les corvées. Elles faisaient en plus office de quittances lors de paiement de dettes, d’authentification du droit de consort ou de la propriété. Elles étaient des documents juridiques en bois. Les marques domestiques et les tachères étaient autrefois très répandues en Europe et même au-delà. Leur utilisation a beaucoup régressé au XIXe siècle. Vers 1900, en Suisse, les marques domestiques ne se trouvaient plus que dans certaines vallées des Grisons et du Valais. "Planche à marques domestiques”, in: Morand Marie Claude (dir.), Musée cantonal d'histoire Sion. Guide des collections, Sion: Editions des Musées cantonaux du Valais, 2003, p. 90 et pp. 92-94.