Corinne Charles et Claude Veuillet, 2012 :
Bardé de fer, c’est le plus ancien coffre-fort actuellement repérable en Suisse. Construction Pour la datation dendrochronologique ont été analysés cinq éléments en arolle: les pieds avant, le pied arrière gauche, la face et le couvercle. La présence du dernier cerne de croissance sous l’écorce de la planche de la face indique un abattage en automne 1294 ou hiver 1295. La présence de l’aubier sur le pied avant droit et le couvercle permet d’estimer également la date d’abattage aux environs de 1294. Du point de vue du rythme de croissance, ces cinq bois forment un ensemble relativement homogène et proviennent de trois arbres différents. Les trois pieds proviennent du même arbre, la face et couvercle de deux autres arbres différents. La face, le dos, les côtés et le couvercle sont monoxyles. Le fond est composé de deux planches assemblées à plat-joint tourillonné. La caisse est assemblée à fleur des pieds, à tenon bâtard et mortaise. Le tenon possède un seul arasement côté parement. Ces assemblages sont solidarisés par des chevilles. Le fond est en rainure. Le couvercle s’articule à l’aide de trois pentures et ferme sur trois serrures à encastrer comportant chacune un verrou à moraillon. Les serrures manquent. A l’intérieur de la caisse, quatre rainures ménagées sur la face et le dos recevaient deux cloisons qui séparaient le volume en trois parties égales. Le bardage est composé de cinq pentures, deux horizontales et trois verticales. Le forgeage est fruste: les marques du marteau sont très apparentes, la section des barres est irrégulière, les bords ne sont pas ébarbés. La facture de ce meuble est soignée: le rabotage a laissé peu de traces, du bois sec a été utilisé, les retraits sont faibles. On observe des différences de section importantes entre certains éléments: le pied avant droit est de 3 centimètres moins large que les autres, et le pied arrière gauche d’un centimètre moins épais. Le menuisier médiéval est parcimonieux, la mise en œuvre de son bois en est le reflet. Ce coffre a failli brûler. La flamme d’une lampe à huile (?) posée à l’intérieur, sur le fond de la caisse, a carbonisé une partie de la face. Lors de nos investigations nous avons découvert une pièce de monnaie dans la rainure du fond. Il s’agit d’un denier frappé à Nyon par Louis Ier, baron de Vaud, entre 1285 et 1302. Usage et destination Le meuble ne comporte aucun décor. Il se distingue des autres grands coffres sans décor par son cerclage de barres de fer sur tout son périmètre: deux larges ferrures horizontales sont fixées par de gros clous à tête plate sur tous les côtés, et entrecroisées avec des ferrures verticales équivalentes, qui se prolongent sur le fond. Les trois moraillons sont dans le prolongement des trois pentures qui renforcent le couvercle. Cette abondance de ferrures indique une fonction de coffre-fort, soulignée par l’installation des trois serrures. Les clés étaient confiées à trois détenteurs séparés, ce qui garantissait l’ouverture du meuble seulement en présence des trois. D'autres coffres médiévaux bardés de fer, ayant eu la même fonction, sont conservés en Suisse et à l’étranger. Leur construction peut être différente, tel le coffre d’archives aux côtés servant de pieds provenant de la sacristie de la collégiale de Berne (datable de 1418 environ), ou similaire, tel le coffre-fort en chêne provenant du cloître de Münsterlingen (Thurgovie) et datable du XVe siècle. Le plus souvent, ces coffres bardés de fer sont pourvus de poignées ou d’anneaux pour le transport, mais pas toujours. L’exemplaire de Valère n’en possède pas, le coffre roman renforcé de ferrures provenant de l’église Saint-Thomas à Strasbourg non plus. Ce type de coffres devait faire partie du mobilier usuel des églises médiévales, et contenir des biens certes importants pour la paroisse, mais qu’il n’était pas nécessaire de transporter. Avant d’entrer au Musée en 1994, ce coffre était entreposé dans la salle du moulin attenante à l’église de Valère. Sa prise en compte pour l’étude du mobilier médiéval du Musée d’histoire du Valais et la précision de la datation dendrochronologique en font le plus ancien coffre-fort actuellement repérable en Suisse. Le groupe des prestigieux coffres liturgiques du XIIIe siècle de Valère se trouve ainsi complété par un exemplaire répondant à une autre fonction, probablement aussi commandé pour l’église à la fin du XIIIe. "Coffre bardé de fer à trois moraillons", in: Marie Claude Morand (sous la dir.), Coffres et coffrets du Moyen Age dans les collections du Musée d’histoire du Valais, Valère, Art & Histoire 3, Ed. hier+jetzt et Musées cantonaux du Valais, Baden/Sion, 2012, vol.2, pp. 76-79.