Paravent / vue de la ville de Sion


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Morand Marie Claude , 2003 :

En examinant de près le montage de ce paravent lors de la dé-restauration entreprise cette année, il semble bien que cette Vue de Sion n’a pas été originellement composée en feuilles, comme c’est l’usage lorsque l’on destine une peinture à devenir paravent. En effet, les découpes des feuilles suivent exactement le dessin et lorsque les feuilles sont mises l’une à côté de l’autre, elles s’emboîtent exactement comme un puzzle. Est-ce à dire que cette vue a été d’abord pensée comme un tableau de chevalet? Rien n’est moins sûr car le format quasiment carré ainsi obtenu (164,5 x 160,5) est plutôt inhabituel dans la peinture de paysage de l’époque qui préfère les formats rectangulaires, horizontaux, pour rendre justice à l’espace panoramique, ou verticaux lorsqu’il s’agit de «zoomer» un détail caractéristique. En revanche, ce format curieux pourrait donner des indications sur l’auteur de ce très beau paysage qui doit être recherché parmi les peintres familiers des œuvres décoratives. La ville de Sion est représentée ici depuis l’ouest, un angle de vue privilégié par le 90% des peintres et graveurs dès le XVe siècle, sans doute pour mettre en évidence le formidable écrin naturel et monumental que procurent à la ville les collines de Valère et de Tourbillon. Mais contrairement à la plupart des vues anciennes, le point de vue est ici légèrement décentré vers la gauche, comme si le peintre s’était installé sur le chemin qui monte à Savièse. Sion se présente à un moment-clé de son développement urbain. Les anciennes fortifications, en grande partie démolies dans la foulée de l’élargissement de la grande route cantonale menant de Saint-Gingolph au Simplon, sont sur le point de céder totalement la place à la construction de la ville basse moderne. Sur le panneau de droite, à côté de la cathédrale, s’étale en rouge-brique le palais épiscopal édifié en 1839–1840 sur l’espace laissé libre par la démolition de la tour fortifiée de Conthey et de ses murs adjacents. Sur le panneau de gauche on voit, hors les murs, en contre-bas de la Tour des Sorciers, l’actuelle Villa de Riedmatten (du nom du banquier qui la racheta à son constructeur), bâtie entre 1855 et 1856 par le notaire et préfet de Loèche Franz Julier à l’angle des futures avenues Ritz et de la Gare qui sont dépeintes ici encore comme des promenades non arborisées, les plantations des tilleuls et platanes n’étant intervenues qu’à partir de 1856 (haut de l’avenue de la Gare) et 1862 pour le reste (Raemy-Berthod, Catherine, Sion, Inventaire Suisse d’architecture 1850–1920, Berne 2003, pp. 35, 93). Le point de vue adopté (perspective en contre-plongée) focalise le regard sur cette villa Julier, placée juste au croisement des lignes de composition des collines dont la verticalité a été pour l’occasion quelque peu accentuée. Au premier plan, des scènes paysannes avec tout à gauche, point d’orgue de l’alignement diagonal qui va de la villa Julier à l’épaulement de la vallée d’Hérémence en passant par le clocher de Valère, un troupeau de vaches brunes, joli morceau de bravoure de la peinture animalière. Sur le marché de l’art depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce paravent provient sans doute d’une commande privée et l’insistance compositive du peintre sur la maison Julier m’incite à émettre l’hypothèse que le préfet aurait pu l’avoir commandé pour orner sa récente villa, non sous forme de paravent mais peut être comme décor de salon enchâssé dans une boiserie, un peu à la mode du XVIIIe siècle. Nous savons en effet qu’en 1910 l’architecte Alphonse de Kalbermatten (1870–1960) remanie l’intérieur de la villa pour le conseiller d’Etat Hermann Seiler et transforme des menuiseries dans la salle à manger (Sion insa, p. 93). Hélas, en l’état actuel de la documentation, il n’est pas possible d’aller plus loin dans cette hypothèse, même si notre Vue de Sion s’ajuste parfaitement sur le trumeau de la cheminée du salon central de ladite villa. Quant à l’identité du peintre, elle est actuellement difficile à préciser. La peinture de paysage semble peu pratiquée en Valais autour de 1850–1860. Vincent Blatter (1843–1911), peintre de paysage et auteur par ailleurs d’une Vue de Sion depuis l’Ouest, conservée au Musée des beaux-arts, est trop jeune pour l’avoir réalisée et l’on ne peut guère songer aux peintres genevois qui depuis les années 1830 viennent faire du motif en Valais, car la palette de notre «paravent» semble bien froide et sage pour soutenir une telle attribution. "Paravent à trois volets avec vue de la ville de Sion”, in: Morand Marie Claude (dir.), Musée cantonal d'histoire Sion. Guide des collections, Sion: Editions des Musées cantonaux du Valais, 2003, pp. 310-313.