Coffre liturgique


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Corinne Charles et Claude Veuillet, 2012 :

Une précoce apparition de personnages saints, sur le décor d’un coffre proche des grands coffres romans de l’église de Valère. Construction Cinq éléments (trois pieds, le côté droit et la face) ont été analysés pour la datation dendrochronologique. Du point de vue du rythme de croissance, ces bois forment un ensemble homogène. Il est probable qu’ils soient issus du même arolle, âgé d’environ 240 ans lors de son abattage. Le dernier cerne de croissance sous l’écorce faisant défaut, la date d’abattage ne peut être donnée à l’année près. Toutefois la présence d’aubier sur la planche inférieure du côté droit permet de situer cet abattage aux environs de l’an 1260 (en estimant à soixante au moins le nombre de cernes compris dans l’aubier). Le coffre présente plusieurs caractéristiques des grands coffres romans étudiés dans les pages précédentes. Les deux planches de l’avant sont assemblées dans de larges pieds-montants qui se prolongent jusqu'au sol. Comme sur le coffre AVE MARIA (MV 81), les pieds ne sont pas en saillie par rapport à la face ou aux côtés. Les deux pieds avant sont évidés en ajour et forment deux colonnes massives supportant un arc, à la manière de la solution déjà choisie par l’artisan sur le coffre aux gueules de félin (MV 83). Tous les éléments constitutifs de ce coffre, mis à part les pieds, sont composés de deux planches assemblées à plat-joint tourillonné. La caisse est liée à fleur des pieds, à tenon bâtard et mortaise. Le tenon possède un épaulement et un seul arasement côté parement. Ces assemblages sont maintenus solidaires par des chevilles. Le fond est en rainure. Le couvercle s’articule à l’aide de deux pentures et ferme sur une serrure à bosse comportant un verrou à moraillon. La serrure n’est pas d’origine, la partie mobile du moraillon est perdue. Les traces d’un ancien clouage et la cavité ménagée sur la face sont les vestiges d’une serrure encastrée, au palâtre de forme carrée d’environ 12 centimètres de côté. Les traces d’outils sont peu visibles sur les surfaces extérieures, le rabotage est soigné, il a été exécuté avec un rabot à aplanir à lame large. On observe des traces de sciage de débit et d’équarrissage à l’intérieur de la caisse et sous le fond. Les pieds ont été raccourcis à une date indéterminée, probablement de 15 centimètres environ. Les proportions liées à la hauteur de la caisse et à sa surélévation du sol sont les mêmes que pour le coffre aux gueules de félin (MV 83). Techniquement, le décor de la face et des pieds-montants est homogène. C’est une même main qui a exécuté la série d’arcatures, le trèfle, la croix, etc., mais qui étrangement ne maîtrise pas la réalisation des fonds. Des traces profondes de gouges, exécutées en travers du fil ou perpendiculairement à la bordure des motifs, donnent l’impression d’une reprise maladroite ou d’un travail inachevé. Ce manque de maîtrise et de soin nous surprend aujourd'hui, voire nous déstabilise quelque peu, mais en était-il de même au XIIIe siècle? Décor Bien que réalisé au XIIIe siècle, ce meuble reste fidèle au système de décor roman. Il est unique par la conjonction d’éléments figuratifs, architecturaux et géométriques. Les figures se situent en bas, sur les fûts des colonnes qui terminent les pieds. En partant de la gauche, nous distinguons d’abord un saint, en position frontale sous un arc, assis sur un trône dont on voit dépasser les bords. Son auréole est encore nettement visible. L’usure et la dégradation générale du pied ne permettent pas de préciser si le personnage portait des attributs. Toutefois, nous distinguons une petite croix à la hauteur de son genou droit, peut être entaillée sur un écu. Le personnage suivant, sculpté sur le pied gauche, pourrait être la Vierge. Son auréole, la plus grande de tous les personnages représentés, déborde sur l’arc. Nous distinguons encore les plis ondoyants de sa robe. La flexion de ses jambes pourrait indiquer qu’elle est assise, mais l’usure de la sculpture est trop importante pour que l’on risque d’autres hypothèses. Les personnages représentés sur le pied droit ont une surface encore plus usée. A gauche, face à la Vierge (?), un personnage saint (il porte une auréole) est dressé sous un arc, la tête tournée à gauche. Malgré le degré d’usure, un examen attentif sous différentes lumières a permis de distinguer que son nimbe était crucifère. Il ne peut donc s’agir que du Christ. Jésus est la seule figure à ne pas être disposée sous un arc. Sur l’autre partie du pied droit, trois saints se dressent en revanche sous un arc, en position frontale. Deux d’entre eux sont sur l’avant du pied. La lumière rasante permet de distinguer les contours de l’objet que le premier tient: une épée. Il pourrait s’agir de saint Paul, dont c’est l’un des attributs. Il est flanqué d’un autre saint à la tête inclinée à gauche, dont on voit les plis de la robe et son bras droit replié tenant un attribut qui dépasse. Nous proposons d’y voir saint Pierre avec la clé. Cette clé, souvent de grandes dimensions, est généralement représentée comme sur le coffre, sa tige figurée à la hauteur du visage de l’apôtre. Le troisième saint est situé sur la face interne du pied. Le bois est tellement usé que nous ne voyons que les contours de sa robe, de son visage et de son auréole. Les autres faces internes des pieds ne comportent pas de personnages, celles qui flanquent le Christ portent un décor de larges chevrons. Les nombreuses lacunes de ces sculptures rendent impossible une identification plus précise des figures, et donc de déterminer s’il y avait un lien iconographique entre elles. Les arcs qui abritent les saints possèdent des colonnettes à chapiteaux qui, à gauche, sont sculptés. D’une façon originale, ces arcs constituent eux-mêmes le décor des quatre plus grandes colonnes qui supportent le grand arc. Ces dernières ont un chapiteau sculpté: à gauche, des motifs géométriques, et à droite un oiseau dont la tête est tournée vers la gauche. Le motif de l’oiseau est également présent, dans Notre-Dame de Valère, sur un chapiteau de la tribune du chœur, partie de l’édifice datable du deuxième tiers du XIIIe siècle, c’est-à-dire contemporaine du coffre. Le quatrième chapiteau à l’extrême-droite est trop dégradé pour qu’on y reconnaisse le décor. L’artisan a pris la peine d’orner la voussure de chacun des grands arcs d’une frise en dents de loup à gauche (même décor typiquement roman et même emplacement sur le coffre aux gueules de félin) et d’un ornement en bande torsadée à droite. Le décor se poursuit en montant sur la partie pleine du pied gauche par un grand trèfle à quatre feuilles. Cet ornement gothique employé conjointement à une décoration romane est une petite intrusion de la seconde moitié du XIIIe siècle, stylistiquement de la pleine période gothique, dans une réalisation qui se voulait résolument romane. Le trèfle est surmonté par une grande croix, de type croix de Malte, inscrite dans un cercle. Un seul décor figure en haut du pied droit, une grande croix de type grec dont les quatre branches se terminent par un renflement. Cette croix n’est pas sans rappeler les armoiries de l’abbaye de Saint-Maurice, sans que nous puissions préciser une éventuelle relation. L’ensemble est inséré dans un quadrilobe, lui-même inscrit dans un grand cercle. L’artisan a de nouveau sculpté une petite croix aux quatre branches égales au centre de la grande croix. Ces motifs de croix sculptés à gauche et à droite ne sont pas rares; par exemple, dans l’église de Valère, ils semblent être condensé en une seule représentation, peinte sur le mur du collatéral sud vers l’accès à la tribune. L’arcature à six arcs entaillés peu profondément sur la base de la caisse rappelle celle des coffres AVE MARIA (MV 81) et DOMINE (MV 84). Les voussures des six arcs sont faiblement creusées et retombent sur des colonnes massives à chapiteaux de type feuillagé. Les chapiteaux portent tous des motifs différents. Les bases des colonnes, soigneusement élaborées, ne comportent pas de décor. Cette succession d’arcs est surmontée par deux grands ornements inscrits dans des rectangles. A gauche de la serrure, l’artisan a évidé peu profondément la surface pour représenter une ligne de chevrons qui abritent des quadrilobes. Il emploie la même technique à droite de la serrure pour sculpter une frise à enroulements de feuillages. Ce décor surprend à première vue, car il est peu courant sur des œuvres sculptées romanes. Nous l’avons toutefois retrouvé sur une large poutre de gloire au décor roman, sculptée et peinte, datable du XIIIe siècle et située en Italie dans la petite église de S. Maria in Valle Porclaneta (Abruzzes). Une série d’arcs qui se succèdent semble avoir été un des décors les plus employés dans le mobilier roman. Les coffres romans de Valère en sont l’ensemble le plus manifeste qui ait subsisté. Ce type de décor issu de l’architecture se trouve également sur des trônes de Vierges pouvant dater de la période gothique, mais réalisées dans la tradition romane. Sur le plan de l’iconographie, ce coffre est un exemple précoce pour la représentation de personnages saints. C’est seulement sur les coffres du XVe siècle que cette iconographie sera plus courante, au nord comme au sud des Alpes. Toutefois, l’emplacement de ce décor sur les coffres du XVe siècle sera différent. Les personnages quitteront le bas des pieds pour s’épanouir plus haut, sur la partie supérieure des pieds-montants ou sur l’ensemble de la caisse. Les arcs qui les abritent seront gothiques. Un coffre italien conservé à Turin et datable du dernier quart du XVe siècle en offre un exemple. Sa face est divisée en quatre grands arcs gothiques qui abritent sainte Barbe, l’archange Gabriel, la Vierge Marie et sainte Catherine. Outre les caractéristiques déjà mentionnées que ce meuble partage avec les grands coffres romans de Valère, nous constatons d’autres points communs: • le percement des pieds, à l’évidement restreint et aux colonnes massives. Il est probable que les pieds d’origine se terminaient par une barre transversale, servant de patin, comme sur le coffre aux gueules de félin (MV 83); • l’organisation du décor est également proche du dit coffre, par les pieds massifs, ajourés, en forme d’arc et surmontés de grands ornements entaillés dans des cercles; • le décor géométrique sculpté au-dessus de l’arcature (petits triangles, chevrons, etc.) forme une frise qui n’est pas continue. Le sculpteur a réalisé des motifs différents qu’il a enchaînés les uns aux autres, comme sur le coffre AVE MARIA (MV 81). Origine et destination Ce meuble, provenant d’une ancienne collection de mobilier alpin rassemblée en Autriche au XIXe siècle, est entré en 1999 dans les collections du Musée. C’est un exemplaire important qui offre un beau complément aux cinq autres coffres romans provenant du Chapitre. Compte tenu de leurs ressemblances sur le plan du style, de l’organisation du décor, de la construction et aussi de l’emploi de l’arole, rien ne s’oppose à ce qu’on lui attribue une origine valaisanne. Vu son iconographie, il est probable qu’il a été commandé pour un édifice religieux. Peut-il s’agir de la cathédrale de Sion, où de si nombreux coffres sont mentionnés dans les documents du XIVe siècle, ou de la basilique de Valère, où deux des motifs décoratifs de ce meuble sont présents, ou d’une autre église? Il n’est pas possible de le préciser. Toutefois, il n’est pas exclu que l’artisan ait connu le coffre aux gueules de félin (MV 83), ainsi que les coffres aux inscriptions AVE MARIA (MV 81) et DOMINE (MV 84), réalisés un peu auparavant dans le courant du XIIIe siècle. "Coffre au Christ et aux saints", in: Marie Claude Morand (sous la dir.), Coffres et coffrets du Moyen Age dans les collections du Musée d’histoire du Valais, Valère, Art & Histoire 3, Ed. hier+jetzt et Musées cantonaux du Valais, Baden/Sion, 2012, vol.2, pp. 42-47.